L’incendie catastrophique de la cathédrale Notre-Dame de Paris du lundi 15 avril 2019 a provoqué un immense émoi et, très rapidement, un début de « course au don » initié par certaines grandes fortunes. Si la reconstruction exigera à l’évidence des moyens financiers probablement considérables, l’afflux de dons, pour généreux et utiles qu’ils soient ou puissent paraître, pose inévitablement la question de leur traitement fiscal. Cet article ne reviendra pas sur l’émoi légitime suscité par l’incendie, il vise à faire un point rapide sur la législation applicable et sur le débat que le financement du mécénat soulève depuis quelques mois déjà…
Point rapide sur les réductions d’impôt
La législation fiscale applicable, refondue par la « loi mécénat » de 2003, permet :
- pour les entreprises : une réduction d’impôt à hauteur de 60 % du versement (dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires hors-taxes). Selon la structure, elle peut prendre la forme d’une réduction de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu (entrepreneurs individuels). Le taux est de 40 % (à l’impôt sur le revenu ou l’impôt sur les sociétés) pour un achat de certains biens culturels présentant le caractère de « trésors nationaux ». Mais en matière d’impôt sur les sociétés, le taux de la réduction d’impôt peut atteindre 90 % pour un versement en faveur de l'achat public de biens culturels présentant le caractère de « trésors nationaux » ou un intérêt majeur pour le patrimoine national...
- pour les particuliers : une réduction d’impôt à hauteur de 66 % du versement, dans la limite de 20% des revenus imposables. Le manque à gagner budgétaire s’élève à 1,49 milliard d’euros en 2018 pour plus de 5,562 millions de donateurs, ce qui représente une réduction d’impôt moyenne de 269 euros.
Débat sur le mécénat d’entreprise
Le mécénat d’entreprise, pour sa part, a fait l’objet d’un rapport de la Cour des comptes en novembre 2018. Intitulé, « Le soutien public au mécénat des entreprises, un dispositif à mieux encadrer », ce rapport dresse un constat plutôt sévère du dispositif existant.
Tout d’abord, la Cour livre les chiffres-clés du mécénat des entreprises :
- 58 787 entreprises ont utilisé en 2016 le dispositif de réduction d’impôt prévu à l’article 238 bis du code général des impôts (6 500 en 2005) ; leur nombre est estimé à 68 930 en 2017 ;
- la dépense fiscale correspondante s’est élevée à 902 millions d’euros en 2017 (contre 90 millions d’euros en 2004) ;
- 24 entreprises ont représenté 44 % de cette dépense fiscale en 2016 ;
- la dépense fiscale en faveur des « trésors nationaux » (qui regroupe deux mesures fiscales) représente un montant annuel proche de 20 millions d’euros ;
- la France comptait, en 2017, 2 364 fondations (1 109 en 2001) et 2 494 fonds de dotation.
Selon la Cour des comptes, les problèmes soulevés par l’actuel dispositif sont de divers ordres :
- la notion large de l’intérêt général et l’absence d’habilitation ou d’agrément préalable sont déplorés par le rapport, avec le risque d’un détournement de cette notion,
- en matière de contreparties, la France est jugée généreuse au regard de la plupart des autres États qui prévoient des dispositifs plus rigoureux, voire restrictifs,
- le dispositif est jugé très (trop?) incitatif : il est « sans équivalent parmi les pays comparables à la France » et il est coûteux : son coût a été multiplié par dix depuis 2004,
- le bénéfice de la mesure est très concentré : les grandes entreprises représentent, de manière régulière, entre 57 et 61 % des dépenses fiscales,
- l’efficacité de la mesure est mal évaluée et peu contrôlée, en particulier sur le plan fiscal : le rapport note ainsi que « Depuis 2013, les rectifications au plan national, en nombre d’opérations, ont varié selon les années, autour d’une centaine par an. Les montants en base concernés ont, en revanche, fortement progressé, passant de 2,7 M€ en 2013 à 17,0 M€ en 2017. (..) Toutefois, ces résultats demeurent très limités au regard des plus de quelques 53 000 entreprises concernées par le dispositif en 2016».
Quel avenir pour le mécénat ?
La Cour des Comptes formule plusieurs pistes de réforme du dispositif, dont un abaissement du taux de réduction d’impôt ou un plafonnement des dons en valeur, au lieu du plafond actuel de 5 pour mille du chiffre d’affaires hors taxes. Ce qui permettrait de dégager plusieurs centaines de millions de rentrées supplémentaires dans un contexte où les budgets publics alloués à la culture ont tendance à stagner alors que le financement privé via le mécénat a sensiblement augmenté.
Les députés devaient en débattre lors de la discussion budgétaire pour 2020. Depuis le lundi 15 avril, la question du mécénat semble se poser autrement, il y a peu de chances pour que la législation évolue même si la course aux dons pourrait reposer la question...