La dette publique fait un retour dans le débat public… Fin 2019, la dette publique en France avait atteint 98,1% du produit intérieur brut (PIB), soit 2.380,1 milliards d'euros. Grâce à des taux d'intérêt très bas, la charge sur la dette a diminué. Mais la crise du coronavirus bouleverse la donne.
En effet, les recettes fiscales devraient singulièrement baisser, provoquant un manque à gagner auquel il convient d'ajouter la hausse déjà engagée des dépenses publiques. Il en résultera un déficit public qui nourrira la hausse de la dette. Cette situation pourrait par ailleurs se prolonger au-delà de 2020. Les prévisions font état d’une dette supérieure à 100% du PIB pour cette année. Elle pourrait atteindre 116 % du PIB en 2024, en l’état actuel des prévisions, lesquelles connaîtront nécessairement des évolutions suivant la gravité de la crise. Et tous les pays sont touchés...
Qu’est-ce que la dette publique et d’où vient-elle ?
La dette publique correspond à l’ensemble des emprunts publics contractés par l’État, la Sécurité sociale, les organismes divers d’administration centrale (ODAC : CNRS, CEA,...) et les collectivités territoriales. Qui dit emprunteurs dit donc créanciers (voir ci-dessous) et taux d’intérêt.
Selon l’Agence France Trésor (AFT), l’organisme qui gère la dette publique, les détenteurs de la dette sont constitués de banques, de fonds d’assurances-vie, d’investisseurs institutionnels (fonds de pensions et fonds d’assurances notamment), mais aussi de fonds d’investissements souverains, voire de fonds spéculatifs. Les particuliers sont donc, indirectement détenteurs, d’une partie de la dette publique française.
Les causes de la dette publique sont multiples. On résumera ici (schématiquement) les grands facteurs qui ont une incidence sur l’évolution de la dette publique.
• Les recettes fiscales et sociales : lorsqu’elles baissent et engendrent un manque à gagner, elles alimentent les déficits publics et, par conséquent, la dette publique. C’est notamment le cas en période de crise où lorsque des allègements (d’impôt et/ou de cotisations sociales) sans effet sur l’économie sont décidés.
• Les dépenses publiques y contribuent lorsqu’elles sont supérieures aux recettes. C’est également le cas en période de crise lorsque le chômage augmente par exemple. Encore faut-il distinguer ici la nature des dépenses : une dépense d’investissement crée naturellement une « bonne dette » à la différence d’une dépense liée à une crise.
• Les taux d’intérêt (notamment les taux d’intérêt réels en tenant compte de l’inflation) : lorsqu’ils sont élevés, comme cela a été le cas de la fin des années 80 jusqu’en 2000 environ.
Tous ces éléments sont évidemment à remettre dans leur contexte : la financiarisation de l’économie, les politiques économiques et fiscales, etc. Notons aussi que toute réflexion sur la dette doit nécessairement intégrer la dette privée : or, celle-ci est nettement plus élevée que la dette publique, avant la crise, elle représente plus de 134 % du PIB en France...
État du débat : quelles conséquences de la crise actuelle et à venir ?
Si, durant de longues années, la dette publique a fait l’objet d’une dramatisation dans le débat public, celle-ci s’était quelque peu estompée avant la crise actuelle. Après tout, avec 250 % de dette publique rapportée à son PIB, le Japon ne rencontrait jusqu’ici aucune difficulté pour financer sa dette. Et s’agissant de la France, lors des dernières obligations émises, par exemple, il y avait entre deux et trois fois plus de demandes de titres d’État français que d’offres. Et ce, malgré des taux d’intérêt réels très bas.
La crise change incontestablement la donne économique globale. Le débat est d’ailleurs engagé. Les 19 pays de la zone euro ont certes échoué, le vendredi 27 mars, à se mettre d'accord sur la mise en place de « conora bonds », un mécanisme commun pour soutenir l'effort financier des pays dans la lutte contre le nouveau coronavirus proposé par neuf États dont la France mais aussi (fait notable) par la Banque centrale européenne. Il s’agit là d’une proposition visant à mutualiser les dettes contractées lors de cette crise, qui a été rejetée par l’Allemagne et les pays nordiques pour le moment. Mais cette question sera immanquablement à nouveau posée.
Pour notre organisation, qui a déjà travaillé sur cette question après la crise de 2008 dans le cadre du « comité d’audit citoyen de la dette », il faut aller plus loin : une mutualisation des dettes avec un rachat des titres par la banque centrale européenne doit être suivie d’une annulation de cette dette globale. Si cette dette n’est pas ainsi traitée et que le carcan budgétaire européen, pour l’heure en sommeil, n’est pas remis en cause, le risque est immense d’assister à une austérité budgétaire longue et dévastatrice. Cette mutualisation suivie d’une annulation doit aussi s’accompagner d’une profonde réorientation des politiques fiscales et sociales. Il s’agit de mettre fin à la concurrence fiscale et sociale, de privilégier les enjeux touchant à « la vie » (santé, environnement, justice sociale). Bref, d’un choix de société par excellence.