Un groupe de travail dédié à ce sujet qui est l’un des dossiers phare de cette rentrée 2021.
Il fut notamment l’occasion de présenter une première version de l’accord valable pour tous les agent.es du Ministère suite à l’accord-cadre de la Fonction Publique du 13 juillet 2021.
Liminaire
Début octobre, le télétravail nouvelle formule va être mis en place. Ce dernier est présenté comme solution miracle à tous les maux de la société (inégalité professionnelle femme-homme, inclusion des travailleurs handicapés, impact environnemental, épanouissement des agents…). Mais dans la vraie vie, on est très éloigné de ce rêve idyllique. D’autant que la mise en œuvre est contrastée et variable selon les directions et même les services à l’intérieur de ces dernières.
Bien entendu le télétravail est une aspiration légitime des agents, souvent motivés par l’augmentation des temps de trajet domicile/travail dans des conditions déplorables et par la dégradation des environnements de travail.
Solidaires Finances avait déjà tiré l’alarme dès les premiers groupes de travail sur le sujet : force est de constater que la mise en œuvre du télétravail est un formidable moteur à opérer des coupes sombres dans les locaux ou implantations de l’administration, à générer des effets délétères sur les collectifs de travail, à accentuer les inégalités professionnelles, à encourager des pratiques managériales autoritaires.
Dans votre document, le télétravail est censé permettre la résorption des inégalités professionnelles (accès à certains emplois, meilleure articulation des temps, parcours professionnels davantage continus et ascendants…). Sur ce point, nous aimerions être d’accord avec vous. Malheureusement, de nombreuses études vous contredisent dont une étude récente de l’APEC (Association pour l’emploin des cadres) qui explique que l’écart salarial des cadres résulte du télétravail en période de confinement.
Comme nous le disions plus haut, l’une des motivations des demandes de télétravail est l’éloignement du lieu de domicile du lieu de travail. Le télétravail est une solution individuelle à un problème global d’aménagement du territoire, des réseaux de transport et de la localisation des emplois, de la fermeture des locaux de l’administration. De la même façon, contrairement à ce que vous affirmez, le télétravail n’est pas une réponse aux problèmes majeurs d’émissions de CO2 : il y a un effet rebond de la consommation énergique des équipements et des stockages de données dont certaines études montrent qu’il est à la hauteur de la consommation énergétique d’un sixième continent.
Nous reprendrons en lettres d’or une phrase qui devrait servir de guide bien au-delà du seul thème du télétravail : « [le télétravail est une opportunité pour l’encadrant d’] associer les membres de son équipe à une réflexion collective sur l’adaptation et l’amélioration de l’organisation du travail ». Associé à un dialogue social de haut niveau avec les organisations syndicales, c’est une forme de rêve que vous nous décrivez là !!
Dans les faits les agentes et agents sont dissuadé.es de déposer des demandes qui ne seraient pas conformes aux desiderata de leurs chefs. Il n’y donc pas de refus formalisés et motivés permettant la saisine d’une CAP comme le prévoit l’article 11 du document cadre. La sanctuarisation de journées non télétravaillables, la limitation du nombre de jours possibles en télétravail dans un service, dans certains cas l’obligation d’une présence minimale sur site de la moitié des effectifs, sont décidées de manière unilatérale sans discussion et échanges dans l’équipe. Ceci dénote d’un manque de confiance envers les agentes et les agents dans leur manière de servir et pourrait d’ailleurs faire accroire qu’il y a une très large part de « touristes » chez les agent.es. Sans angélisme aucun, nous ne pensons pas que ce soit le cas. Et nous espérons d’ailleurs que cette idée soit partagée de part et d’autre.
Ce point est, à notre sens, pour le moins capital, notamment dans une période où la défiance ou le désenchantement sont assez largement répandus parmi les agent.es. C’est en tout cas une très forte incitation à ne pas se rater dans la mise en place de ce nouveau mode d’organisation, qui influe largement sur le quotidien de l’agent.e et sur le rapport qu’il entretient avec son univers professionnel.
A contrario pour les agentes et agents en situation de handicap, le télétravail devient non pas un moyen d’inclusion professionnelle mais un moyen pour l’administration de ne plus avoir à rendre accessibles les environnements de travail à ces derniers, de ne plus prendre en charge leurs frais de transports, de ne plus favoriser l’intégration sociale et professionnelle.
« Tu es en situation de handicap, fais du télétravail. » et même « tu es harcelé.e, fais du télétravail », « tu as un souci de santé, fais du télétravail », « tu es victime de discrimination, fais du télétravail ». « Ça se passe mal avec tes collègues et ton chef , fais du télétravail ».
Finalement, de façon générale, le télétravail devient la solution pour que l’administration n’assume surtout pas ses responsabilités.
Compte rendu
Bercy claironne que c'est un virage majeur pris par le Ministère. Bien sûr, mais c'est la Covid qui a bouleversé la donne. D'un phénomène assez marginal auparavant, dans les 4 %, le télétravail est désormais une réalité à laquelle recourrent 35 % des agent.es de l’administration centrale et dans les 12 % au sein de la DGFiP, par exemple.
Le point est bien sûr indéniable et correspond à une aspiration profonde d'une large partie des agents et agentes, à laquelle leur employeur se doit de répondre.
Toutefois, il y a également un point de consensus, pour veiller à ce que les collectifs de travail soient préservés et que la mise en œuvre du télétravail ne génère ni sentiment d'inégalité, ni effets sur la santé mentale des agent.es.
S'agissant de l'accord-cadre, à l'heure actuelle, il est encore perfectible. Un certain nombre de points doivent être précisés. D'autres doivent être modifiés.
Parmi les griefs, on peut citer notamment :
- certains éléments d'organisation concrète du télétravail (possibilité de planification, de jours d'exclusion…) ;
- le retard pris dans la modernisation de nos outils et systèmes dont certains ne sont manifestement plus à à la hauteur ;
- la définition d'indicateurs concrets concernant la mise en œuvre de ce mode d'organisation du travail sur l'ensemble des services et des agents ;
- la question des tiers lieux ;
- une certaine propension à utiliser du conditionnel, ce qui permet aux directions de s'engouffrer dans certaines brèches et d'écarter les dispositions qui ne leur plaisent pas. Parfois, et sans vouloir jouer aux grammairiens forcenés, utiliser le présent de l'indicatif peut éviter les flous et les « malentendus » ...
- enfin, si la hiérarchie de proximité jouera par essence un rôle important dans l'affaire, il n'en demeure pas moins que faire de l'encadrant le « garant du lien social » (sic), c'est, à notre sens, assez largement une vue de l'esprit …
Nous préférons largement quand le Ministère se laisse aller (un moment d'égarement sûrement …) à écrire que [la mise en œuvre du télétravail] est une « opportunité pour l'encadrant d'associer les membres de son équipe à une réflexion collective sur l'adaptation et l'amélioration de l'organisation du travail. ». Comme cette musique est douce à nos oreilles … Si elle se traduisait dans les faits - et pas uniquement s'agissant du dossier télétravail - et se conjuguait avec un dialogue social de haut niveau avec les organisations syndicales, ce serait une réelle avancée. On peut rêver ?
Le Secrétariat Général indique avoir pris bonne note de tout cela (cela ne mange pas de pain …). Il devrait rapidement revenir vers les fédérations avec une copie remaniée et espère la signature d’un accord à l'horizon de fin novembre/début décembre. Bien sûr il faut que les organisations représentatives se mettent au garde à vous, la négociation doit se faire sur un mois et sans aucune ambition et garanties supplémentaires pour les agent.es. En fait, le problème n'est pas vraiment au niveau des ambitions, même si la vigilance demeure de rigueur. Solidaires Finances n’est ni pour ni contre le télétravail. Les attentes des demandeurs de télétravail sont légitimes. Mais aussi, après quelques temps, le télétravail pourrait assez rapidement être un prétexte idéal à une politique de réduction de nos implantations et de nos locaux.
Non, au-delà du cadre général et des déclarations d'intention, là où le bât blesse, c'est au niveau de la déclinaison concrète. Même si cette dernière est contrastée et variable selon les directions (voire même à l'intérieur de ces dernières), en de très nombreux endroits, on voit que les hiérarchies ont, en fait, les deux pieds sur le frein. Quand la Fonction Publique indique que le télétravail ne peut dépasser trois jours par semaine, la traduction est bien souvent un jour grand maximum. Et, histoire d'y ajouter une petite dose d'hypocrisie, on s'efforce même de dissuader les agents de demander plus d'un jour, histoire de ne pas avoir à motiver plus ou moins habilement un refus qui pourrait entraîner un recours !
L'argument (pas franchement massue…) invoqué est celui de la prudence. En effet, pour le Ministère, il serait plus facile de faire un premier pas, quitte à élargir ensuite le champ, plutôt que d'ouvrir largement ce dernier et risquer de devoir revenir en arrière, si les choses se passent mal ou si la copie n'est pas tenable. Cela peut s'entendre à la rigueur, mais cela n'est pas non plus le sceau d'une volonté très allante… On peut aussi voir cela comme une forme de soutien à celles et ceux qui estiment que le télétravail n'est rien d'autre qu'un évitement dudit travail. Cette vision, pour le moins réductrice, ne nous paraît pas adaptée aux enjeux.
Nous faisons ici une mise en garde marquée : si, après des postures assez ambitieuses, bon nombre d'agents ont l'impression qu'on s'est largement payés de mots, cela va encore dégrader le climat dans les services et renforcer une défiance largement répandue. A bon entendeur…
Nous aimerions qu'enfin, l'administration fasse un (double) pari fou, celui de :
- s'adapter un tant soit peu à la demande de l'agent (qui ne sera peut-être pas si éloignée que cela de ce que le Ministère et les directions espèrent …),
- faire confiance à l’agent.e et aux collectifs de travail, plutôt que de créer un système assez largement basé sur le contrôle (et pas forcément loin d'une certaine méfiance…).
Nous avons souvent l'impression qu'on se focalise d'emblée et bien plus sur les quelques uns qui sont susceptibles de déraper plus ou moins, plutôt que de répondre à l'écrasante majorité qui sert l’État avec dévouement.
Si on part dans cette voie-là, l'affaire risque fort d'être un rendez-vous manqué. Et nous ne pensons franchement pas que l’État a les moyens de se le permettre actuellement.