La présente contribution dresse une analyse des dispositions contenues dans le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude. Elle ne traite que les mesures qui concernent directement la DGFiP.
Une seconde « police fiscale »
Le gouvernement indique vouloir mobiliser les agents de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) sur « les affaires comportant également des infractions autres que celles intrinsèquement liées à la fraude fiscale et à son blanchiment (par exemple corruption, escroquerie, crime organisé) et qui peuvent nécessiter la mobilisation de techniques spéciales d'enquêtes particulières ». Le nouveau service sera un service commun à la DGDDI et à la DGFiP, rattaché aux deux directeurs généraux sous la forme d'un service à compétence nationale. Concrètement, c‘est l'actuel Service national de la douane judiciaire (SNDJ) qui évoluera et accueillera des officiers douaniers judiciaires et des officiers fiscaux judiciaires. Le « plan » indique également que, sur plus de 500 saisines de la BNRDF depuis sa création en 2010, 260 demeurent en cours. Il sous-entend ainsi que le travail de la BNRDF est lent. Or, ceci est dû à la longueur des procédures judiciaires, à la complexité des affaires et au sous-dimensionnement en effectif.
L’histoire de la BNRDF (créée en 2010) mérite ici un rappel. A l’origine, plusieurs voix, dont celle de notre syndicat, demandaient la constitution d’un service judiciaire fiscal et douanier judiciaire rattaché à Bercy et placé sous l’autorité d’un magistrat (comme le SNDJ). Les discussions menées au plus haut niveau de l’État ont été difficiles. La BNRDF, à la différence du SNDJ, est dirigée par un commissaire divisionnaire. Elle est cependant constituée d’une majorité d’agents des Finances publiques qui disposent de la qualification d’officiers fiscaux judiciaires et de policiers qui bénéficient d’une formation aux enjeux fiscaux.
Solidaires Finances Publiques s’interroge sur l’opportunité d’une coexistence de deux « polices fiscales » ayant toutes les deux vocation à intervenir sur la fraude fiscale et ce, même si la BNRDF agissait sur un spectre plus large d’infractions financières par rapport au futur service fiscal judiciaire relevant de Bercy qui ne devrait être tourné que vers la fraude fiscale. Derrière cette distinction assez théorique pointe le risque d’une concurrence entre deux services. Or, toute « guerre des polices » est néfaste pour l’action publique.
L’élargissement de la liste des États et territoires non coopératifs
L’annonce de la création d’une telle liste nationale fin 2009 et codifiée par la suite à l’article 238-O A du CGI avait laissé espérer que celle-ci fût suffisamment dotée en noms et qu’elle puisse être véritablement dissuasive et efficace. Cette liste est en effet assortie de mesures intéressantes et particulièrement dissuasives pour les entreprises présentes dans ces territoires. 18 territoires y figuraient en 2010, mais seulement 7 à ce jour. Élargir la liste est donc une nécessité.
Le projet de loi prévoit « d’appliquer des mesures dissuasives aux États et territoires listés par l’Union européenne en élargissant la liste des ETNC prévue à l’article 238-0 A du CGI. ». Comparer les listes actuelles permet de voir que ce dispositif s’apparente à un coup d’épée dans l’eau.
Les États qui figurent aujourd’hui sur la liste nationale sont les suivants : le Botswana, Brunei, le Guatemala, les îles Marshall, Nauru, Niue et le Panama.
Les États qui figurent sur la liste de l’Union européenne sont les suivants (mars 2018) : îles vierges américaines, Saint Christophe et Nièvés, Trinité et Tobago, Bahamas, Namibie, Îles Samoa, Samoa américaines, Palaos, Guam.
Aucun des paradis fiscaux proches des grands États occidentaux ou en faisant partie ne figure dans ces listes. L’efficacité de cette mesure est d’ores et déjà mis en doute.
Des précisions sur les obligations déclaratives fiscales des Plates-formes d’économie collaborative
Il existerait 276 plate-formes d’économie collaborative dont 70 % auraient leur siège en France. Parmi les activités susceptibles de dégager un revenu imposable figure les locations touristiques de résidences (principales ou secondaires), les locations de véhicules personnels, la fourniture de prestations de services telles que bricolage, jardinage, confection de repas, etc. La montée en puissance de ces plate-formes avait déjà incité le précédent gouvernement à demander aux plate-formes d’informer leurs utilisateurs sur la législation fiscale applicable et à prévoir une obligation déclarative auprès de la DGFiP en 2020 sur les opérations de 2019. Si les travaux menés au sein de l’organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de l’Union européenne se poursuivent sur la meilleure manière d’imposer les activités numériques, le gouvernement estime devoir clarifier les obligations déclaratives des opérateurs afin de collecter les informations nécessaires à la taxation des revenus de leurs utilisateurs.
Le nouvel article 242 bis du code général des impôts prévoit que les plate-formes auront l'obligation de déclarer les revenus des utilisateurs résidant en France ou qui réalisent des ventes ou des prestations de services en France. Aucune disposition n'est prévue pour limiter l'application de l'article 242 bis du code général des impôts aux seules plate-formes situées en France. L'obligation aura donc une portée générale et s'appliquera à toutes les plate-formes, qu'elles exercent leur activité depuis la France, y compris les départements et collectivités d'outre-mer ou un État ou territoire tiers. Cette mesure, dont il restera à voir l’application concrète, est bienvenue.
Les échanges d’informations entre administrations à des fins de lutte contre la fraude
Le projet de loi dénombre 22 assistants spécialisés (seulement...) mis à la disposition par la DGFiP des juridictions judiciaires. Le projet de loi prévoit que ceux-ci aient accès à certaines applications informatiques et à certaines données détenues par la DGFiP, couvertes par le secret professionnel. Ce qui oblige les magistrats à adresser des réquisitions à la DGFiP pour avoir accès aux données. Le projet de loi simplifie l’accès à certaines informations en permettant aux assistants spécialisés de la DGFiP un accès aux fichiers de la DGFiP. Cette facilitation est logique et bienvenue.
Une peine complémentaire obligatoire de publication pour fraude fiscale
La publicité de la décision de justice rendue en matière de fraude fiscale existe déjà : cette peine complémentaire est cependant laissée depuis le 1er janvier 2011 à l'appréciation du juge. Le projet de loi prévoit de la rendre obligatoire, sauf exception motivée. Dans les faits à peine plus de 10 % des condamnations définitives donnent lieu à une telle publication. Il faudra cependant voir quelles sont les exceptions pour voir si la perspective d’une publication permet effectivement d’être dissuasive.
La publication des sanctions administratives appliquées aux personnes morales à raison de manquements fiscaux d’une particulière gravité
Le projet de loi prévoit d’ajouter à certaines sanctions fiscales la possibilité de publier le nom de l’entreprise qui les aura subies. Mais cela est encadré « des critères objectifs de gravité les manquements délibérés et les pénalités afférentes devant faire l'objet d'une sanction de publicité, tant au regard de l'objectif de la loi que du principe de légalité des peines. » La publication ne pourra concerner que des affaires présentant un montant minimum de droits rehaussés de 50 000 euros et l'utilisation d'une manœuvre ou d’un abus de droit (autrement dit, d’une majoration de 80%).
Cette publication ne pourra intervenir d’une part, qu’une fois les voies de recours épuisées et d’autre part, sur la base d’un avis conforme de la nouvelle « commission de publication des sanctions pénales », dans le cadre d’une procédure prévoyant l’infirmation du contribuable qui aura la possibilité d’y répondre. Une fois prononcée, la publication sera faite sur le site de l’administration fiscale durant un an maximum.
L’idée d’une publication est intéressante en termes dissuasifs (le risque « réputationnel » étant engagé), la procédure a de quoi interroger par sa lourdeur et par la possibilité qu’elle laisse aux entreprises bien conseillées de la faire traîner en longueur voire d’y échapper (dans le cas d’un abaissement transactionnel des pénalités). Et ce, contrairement à certaines PME qui n’ont pas les mêmes possibilités et pourraient ainsi être davantage concernées par ce dispositif. Cette mesure pourrait être intéressante, mais elle voit son efficacité déjà mise en doute.
Des sanctions à l’égard des tiers complices de fraude
Le projet de loi prévoit « une amende à l'encontre des professionnels qui proposent à leurs clients ou réalisent à leur demande des montages abusifs ou frauduleux leur permettant de se soustraire à leurs obligations fiscales ou sociales, ainsi qu'une disposition connexe visant à interdire à ces mêmes professionnels de participer aux travaux de certaines commissions administratives. » Cette sanction s’élèvera à 50 % du chiffre d’affaires hors taxe ou des recettes brutes réalisées avec un minimum de 10 000 euros. Elle ne sera prononcée que si la personne n’est pas poursuivie pénalement pour sa complicité. La sanction des tiers complices de fraude fiscale correspond à une véritable attente. Les nombreux « conseils » vendant des packages d’optimisation parfois frauduleux et le développement d’une véritable ingénierie financière et fiscale au service de la « délinquance en col blanc » rendaient nécessaires une telle mesure dont il faudra s’assurer qu’elle est appliquée effectivement.
Une aggravation des peines d’amende encourues en cas de fraude fiscale
L’article 1741 du code général des impôts prévoit qu’une personne physique risque une peine d’emprisonnement de cinq ans et une peine d’amende de 500.000 euros en cas de fraude fiscale. Ces peines sont portées à sept ans et 3.000.000 d’euros en cas de fraude fiscale aggravée. Le projet de loi prévoit que l’amende pourra atteindre le double de l’infraction constatée.
Cette expression en pourcentage et non en somme s’explique aisément : dans le cas d’une fraude importante, elle s’avère plus dissuasive. Elle « incite » à la poursuite d’investigations de la DGFiP pour établir le montant de l’infraction. Mais il faudra veiller à son impact car les seuils de 500 000 euros ou de 3 millions d’euros prévus par l’article 1741 du CGI sont des maximums. Par ailleurs, le montant moyen des amendes était de 10 868 euros en 2016 lorsque seule l’infraction de fraude fiscale était jugée…
L’extension de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité à la fraude fiscale, « le plaider coupable fiscal »...
Instauré en 2004 dans le droit pénal français, le « plaider coupable » était censé réduire les délais de procédures en contre-partie d’un allègement de sanctions pénales. Il serait désormais applicable à la fraude fiscale. Les débats qui avaient entouré le « plaider coupable » et, plus précisément, les discussions prévues préalablement à l’homologation de peines se reposent donc à nouveau ici. Le plaider coupable peut ainsi être choisi par un fraudeur qui souhaite obtenir non seulement une peine allégée mais aussi une dispense de publication de la peine pénale par exemple. Le principal risque de cette mesure est qu’à l’instar de ce qui se passe aux Etats-Unis, elle profite surtout aux acteurs économiques les plus puissants, avec des sanctions faibles au regard des pratiques sanctionnables, ce qui ne ferait qu’alimenter le sentiment d’impunité fiscale.
Un « plan anti-fraude » annoncé dans un contexte difficile et contraignant
Ce plan est annoncé alors que, de toute évidence, toutes les missions de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) sont fragilisées par des années de suppressions d’emplois (on en dénombre 3100 au sein des services de contrôle depuis 2010) et de restructurations, un management de plus en plus contraignant et inadapté, des moyens matériels et budgétaires également insuffisants. On assiste par conséquent à une dégradation sans précédent des conditions de vie au travail et de l’efficacité des missions.
Le contrôle se heurte aux choix en faveur du « tout compétitivité ». Les nombreuses mesures législatives votées ces dernières années viennent tempérer cette analyse. Mais, comme le montre notre rapport sur l’impunité fiscale de mars 2017 ressorti en novembre, leur bilan est contrasté. L’affaiblissement du contrôle fiscal est malheureusement une réalité comme l’a récemment souligné un rapport de la Commission des finances du Sénat. Et ce d’autant plus qu’avec le droit à l’erreur, la gestion des interventions des administrations de contrôle va se complexifier, au risque de réduire la capacité d’action des pouvoirs publics aussi bien en matière de contrôle fiscal que de contrôle « social ».
Pour en revenir au plan lui-même, si certaines annonces attendent des clarifications (comme la création du service fiscal judiciaire), d’autres (comme l’élargissement de la liste française des « paradis fiscaux ») peuvent être rangées dans les effets d’annonce. De fait, il reste encore beaucoup à faire pour que la parole gouvernementale en matière de lutte contre la fraude fiscale soit véritablement crédible.