Liminaire

Suppression de la RPP : la DGFIP coauteure, complice ou simple spectatrice de la suppression d’une garantie du contrôle de régularité de l’usage de l’argent public ?

Avec un empressement qui interpelle, ce Gouvernement veut aller très vite et mettre un terme au régime de la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public. L’observateur peu averti, pourrait s’interroger. Pourquoi donc se précipiter pour mettre en musique une réforme de prime abord très technique avant la fin du quinquennat ?

Ce serait méconnaître le sens profond de ce que vous êtes chargés de nous présenter à grands traits aujourd’hui.

Commanditée par le comité néo-libéral Action publique 2022, cette réforme participe de la volonté de mettre à bas la spécificité de la gestion publique. C’est une étape supplémentaire du démantèlement de l’administration publique, préalable nécessaire à la suppression du principe démocratique de séparation des ordonnateurs et des comptables. Dès lors que le régime de responsabilité des ordonnateurs et des comptables sera unifié et que vous aurez avancé encore un peu plus dans la confusion de leurs tâches, services facturiers et maintenant services communs de la recette, compte financier unique… il n’y aura plus qu’à supprimer un principe qui sera dépourvu de toute consistance juridique et organique.

Vous n’avez pas réussi à vendre vos agences comptables... Problème de marketing... Qu’à cela ne tienne… Au nom de la simplification, du pragmatisme et de l’économie de moyens, bientôt l’intégralité de la fonction comptable et financière assurée par la DGFIP sera abandonnée aux collectivités qui pourront bien sûr, la déléguer à des entités privées. S’agissant des services de l’État, il ne restera que des agences qui internaliseront également leur fonction comptable et financière. Avec un bon système d’informations, la centralisation comptable ne devrait pas être insurmontable.

Il ne s’agit là pas de science-fiction. Tout ceci est déjà écrit dans le rapport CAP 2022. Il suffit de le lire. Il n’est pas besoin de s’interroger sur ce que vous allez proposer. Vous travaillez à la manière des moines copistes dupliquant consciencieusement le manuscrit. La seule incertitude qui demeure c’est le calendrier. Combien de temps allez-vous mettre pour tout décliner ? Tout dépendra bien sûr de l’évolution politique…Jusqu’ici tout va bien pourrait-on entendre…

L’objectif ultime de vos inspirateurs est de liquider toute forme de service public. Ce qui présentera à leurs yeux un double intérêt : créer de nouveaux marchés forts juteux, car si les services publics disparaissent, les besoins de la population demeurent. Vendre des prestations aux usagers solvables et un service très résiduel pour les personnes sans ressource…  Et si les services publics disparaissent, plus besoin de les financer. L’impôt honni pourra être réduit à sa portion la plus congrue…

Qu’on ne se méprenne pas, il n’est pas question pour nous de sacraliser la RPP. Les modalités de cette dernière sont très loin d’être satisfaisantes. Car oui la logique réparatrice initiale peut conduire à prononcer des débets astronomiques à la charge de comptables publics dans l’impossibilité de les rembourser impliquant la remise gracieuse. Oui le prononcé de débets pour des irrégularités formelles, dépourvues de conséquences financières pour la collectivité, est inapproprié. Oui l’insuffisance des contrôles est d’abord la responsabilité de l’administration qui ne donne pas aux comptables les moyens humains de réaliser les diligences nécessaires. Oui nombre de manquements constatés résultent de fautes délibérées de l’ordonnateur, non détectées par le comptable. Oui la crainte de la mise en jeu de la responsabilité conduit les comptables et leurs équipes à consacrer beaucoup de temps à des poursuites sur des créances manifestement compromises pour justifier de leur irrécouvrabilité.

Mais ces travers résultent bien plus de l’attitude de l’administration et du juge des comptes que du principe lui-même. La réforme de 2011 a d’abord confondu logique restitutive et logique répressive. Introduisant la notion de préjudice financier, elle a ensuite été vidée de sa substance par la Cour des comptes qui a continué à voir des manquements avec préjudice dans de simples irrégularités formelles…

Une réforme est sans aucun doute souhaitable, mais comme toute réforme qui vise à améliorer et non à désintégrer, elle implique de réunir l’ensemble des protagonistes et de discuter ensemble, en toute transparence, des solutions envisageables afin de choisir la plus appropriée.

Ce n’est, comme d’habitude, pas la solution qui a été préférée. Mais c’est assez rationnel au vu de l’objectif poursuivi.

Nous ne discutons pas de la légitimité de l’idée consistant à vouloir, en soi, remettre en cause la séparation ordonnateur comptable, et le principe même de la gestion publique.  C’est une idée que nous combattons avec force car pour nous la gestion publique et le service public présenteront toujours une spécificité irréductible. Nous rejoignons sur ce point la Cour des comptes pour laquelle la sécurité conférée par la séparation des ordonnateurs et des comptables apparaît particulièrement opportune s’agissant de deniers publics, dont les gestionnaires ne sont que dépositaires et non pas détenteurs ou propriétaires…

Non ce qui est détestable, c’est la manière d’avancer masqués. Mais de manière si grossière, car en réalité rien n’est véritablement caché, que cela en devient vexant pour celles et ceux qui prennent encore la peine de vous observer, de vous lire et de vous écouter…  Ne faisons pas offense à l’ancien premier ministre et à ses maîtres à penser qui lui ont susurré à l’oreille son programme de gouvernement. Il avait explicitement exposé son ambition en 2018 : supprimer la séparation organique ordonnateur-comptable.

Si vous êtes professionnellement contraints de porter la parole officielle, faites-nous au moins grâce des mensonges… la vérité par omission… Ca doit exister quelque part !

I Quelle est l’utilité de ce groupe de travail ?

Nous l’avions sollicité. Mais même s’il est très agréable de vous rencontrer, vous avez sans doute à faire et nous aussi. La réponse à la question ne figure pas dans les documents que vous nous avez fournis. Il n’y a pas la moindre information nouvelle par rapport à celles que vous avez diffusées en septembre dans le réseau. Vous avez rejeté la demande bienvenue de report de nos camarades en nous objectant notre volonté de tenir ce groupe de travail avant que le Conseil d’Etat ne se prononce sur son contenu. Pourquoi ? Attendez-vous nos suggestions pour modifier le projet ?

Les choses ont-elles évoluées depuis septembre ? Pourquoi le projet d’ordonnance ne figure pas dans les documents ? Nous sommes donc suspendus à vos lèvres et attendons une présentation orale un peu plus consistante que la teneur des documents joints.

II Cette suppression de la RPP est un contresens technique, historique et démocratique

La responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable est une garantie de l’effectivité des contrôles opérés en matière de dépense et des efforts consentis pour recouvrer les recettes publiques. Elle assoit l’autorité du comptable à l’égard de ses interlocuteurs et le fonde à refuser d’exécuter une dépense irrégulière voulue par l’ordonnateur. La suppression de la RPP fragilise donc grandement la régularité de la dépense publique.

Didier Migaud, Président de la Cour des comptes, le soulignait explicitement dans une note interne adressée au procureur général près la Cour des comptes et aux président.es de chambre le 17 juillet 2018, il écrivait ainsi : Avec le principe de la séparation entre les ordonnateurs et les comptables, la RPP est le second garde-fou de notre ordre public financier. Les mesures parfois évoquées qui consisteraient à la supprimer ou à en atténuer la portée ne pourraient que susciter l’incompréhension de nos concitoyens, dont les exigences en termes de reddition des comptes, de transparence de la gestion publique et de redevabilité de ceux qui l’exercent sont croissantes. […]

Supprimer cette responsabilité pécuniaire ferait des comptables publics de simples « caissiers » sans moyen de résister à d’éventuelles pressions des ordonnateurs. Une telle démarche serait mal comprise par l’opinion qui verrait disparaître un dispositif éprouvé qui protège les deniers publics et qui contribue à responsabiliser financièrement des fonctionnaires chargés de responsabilités dans un domaine particulièrement sensible. Cette expression a été réitérée publiquement en octobre 2019 au cours d’une intervention au Conseil d’État.

A l’heure où une partie importante de la population éprouve le sentiment que celles et ceux qui la gouvernent ou qui prennent les décisions ne rendent pas suffisamment compte de leur gestion et de leurs résultats, cette réforme va entamer encore un peu plus la crédibilité de l’exercice de fonctions publiques en rendant plus opaque encore le système de contrôle.

III. Cette réforme ne répond en rien aux exigences de responsabilisation des gestionnaires et de transparence de la gestion

Vous pratiquez dans la fiche l’art rhétorique de l’oxymore avec un cynisme remarquable où alors vous comptez sur votre désopilant sens de l’humour. S’il y a un concours interne entre vous, conviez-nous pour être membres du jury !

Mais vous avez placé la barre très haut en ce début d’année avec le titre I de la fiche : Un régime juridictionnel unique, d’accord mais plus simple, plus lisible et plus juste !

Plus simple et plus lisible ?

Il faudra nous expliquer objectivement en quoi la substitution d’un régime dual juridictionnel et administratif, subjectif reposant sur les notions de faute grave, ayant causé un préjudice financier significatif ou de fautes de gestion ayant occasionné un préjudice financier significatif s’articulant avec une responsabilité managériale appuyée sur la gestion des risques à un régime de responsabilité objective avec remise gracieuse est plus simple et plus lisible.

Plus lisible et plus juste ?

En plus du mécanisme répressif qui ne devrait être qu’exceptionnellement actionné, le comptable relèverait d’une responsabilité managériale, entendez la carotte et le bâton, avec pourquoi pas, une part variable de rémunération qui dépendrait d’indicateurs à définir, à la satisfaction et à l’appréciation modulables. Le discours managérial nous dit-on vise à libérer les gestionnaires de la contrainte juridique qui pèse sur leurs actions. Pour notre part, le respect de la loi, démocratiquement adoptée, fonde l’essentiel de la légitimité du responsable administratif.

Plus juste ? Vraiment ? Il est vrai que la justice est un concept éminemment subjectif !

Plus effectif et plus juste encore ?

L’un des problèmes les plus aigus de la gestion publique réside dans l’absence d’effectivité de la responsabilité financière des ordonnateurs. Nous attendons de voir quelle sera celle des ordonnateurs de l’État puisque les ministres sont exclus du dispositif ! Quant aux collectivités locales, ce n’est pas en désignant des boucs émissaires au travers des DGS que la situation s’améliorera. La responsabilité financière est distincte de la responsabilité politique. La deuxième n’absorbe pas la première. Or, c’est bien à ce niveau qu’il y a un véritable problème. Écarter les élus locaux et les ministres constituent toujours une scandaleuse anomalie.

La responsabilisation des ordonnateurs aurait pu passer par l’édiction d’un régime propre véritablement effectif.

IV. Cette réforme accélère le démantèlement du statut du comptable public

Cette réforme accélère le démantèlement du statut du comptable public qui perd l’ensemble de ses spécificités pour devenir chef de service. La RPP garantissait l’autonomie du comptable public vis-à-vis des directions locales. Il est désormais assujetti à la responsabilité managériale. Son régime indemnitaire spécifique est condamné. Celui lié à l’exercice de la fonction de conseil dans le secteur public local a d’ores et déjà disparu. La suppression de la RPP annonce la future remise en cause du régime indemnitaire de l’ensemble des comptables justifié par le risque de mise en cause de la responsabilité pécuniaire.

Nous attendons donc une présentation plus complète du contenu du projet d’ordonnance avant de vous poser les nombreuses questions que soulève l’article 41 de la loi de finances. Mais avant de conclure, une dernière remarque. Cette réforme ne choque pas seulement les comptables du réseau et les représentantes et représentants syndicaux de la DGFIP. Elle heurte profondément nombre de magistrats de la Cour des comptes qui soulignent combien elle constitue un danger pour le contrôle démocratique de la régularité de l’utilisation de l’argent public et donc in fine du consentement à l’impôt.