Une des mesures du Ségur de la Santé en 2020 vise à mettre fin au mercenariat de l’intérim médical. De quoi s’agit-il ? Confrontés à une pénurie de praticiens, les hôpitaux n’ont pas d’autre choix que de faire appel à des médecins intérimaires. Mais ce système coûte très cher, jusqu’à plusieurs milliers d’euros pour une journée de travail. Depuis la fin 2017, ces missions d’intérim sont encadrées par un plafond réglementaire : pas plus de 1 170 euros bruts pour une journée de 24 heures. Sauf que, très souvent, ce plafond reste lettre morte. Concrètement, les établissements qui refusent de satisfaire les prétentions salariales ne trouvent pas de médecins intérimaires.
En conséquence, l’article 33 de la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification a prévu un contrôle renforcé de l’intérim médical. Avec, d’une part, le rejet par le comptable public d’un paiement au-delà du plafond réglementaire ; d’autre part, la dénonciation du contrat devant la juridiction administrative par le directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS).
Solidaires Finances Publiques reconnait la légitimité du combat contre le comportement scandaleux de mercenaires qui profitent de la pénurie de personnels hospitaliers pour exiger des rémunérations exorbitantes au détriment de la collectivité ! Mais il y a toutefois quelque chose d’obscène à ce que ce soit celles et ceux qui, mettant en œuvre des politiques néolibérales qui privent l’hôpital public des personnels et des moyens indispensables au service public de la Santé, dénoncent ensuite des attitudes qu’ils et elles ont largement contribué à faire prospérer.
Le contrôle de l’intérim médical que l’on veut faire assumer aux comptables et à leurs équipes est politiquement honteux.
Combattre ces pratiques passe d’abord par le fait que les responsables hospitaliers n’y recourent pas. Sauf erreur de notre part, il y a bien un ordonnateur qui rédige et signe le contrat...
Il y a ensuite et peut-être surtout des agences régionales de santé qui sont autorités de tutelle et dont la mission est justement de contrôler la légalité des actes pris par les directions hospitalières !
Ce qui est demandé aux comptables, c’est de rejeter des rémunérations irrégulières qui ont été sciemment avalisées par des établissements hospitaliers, et de leur faire supporter la responsabilité éventuelle de la fermeture d’un service faute de praticien ayant accepté les conditions de rémunération réglementaires. Sont ainsi instaurés une injonction paradoxale et un conflit de valeurs : faire respecter la réglementation et se protéger, à supposer d’en avoir pleinement les moyens ou contribuer à fragiliser l’offre de soins ? Et le directeur de l’hôpital aura alors beau jeu de dire : c’est le comptable qui a refusé de payer les médecins pour d’obscurs motifs réglementaires ! C’est la raison pour laquelle nous ne trouvons plus de praticien qui accepte de se déplacer pour effectuer des vacations ! Donc nous fermons !
Pour l’ARS cela sera beaucoup plus confortable. Elle aura toujours, sur le modèle du déféré préfectoral, la possibilité en opportunité, de soumettre ou non au juge administratif les contrats litigieux… Mais le comptable lui, quelle est sa latitude ? La Direction Générale répond qu’à compter de 2023, il ne devrait plus y avoir de responsabilité personnelle et pécuniaire… En attendant ? D’autant qu’il est loin d’être acquis que cette nouvelle obligation ne relève pas du nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics !
L’administration décline toute responsabilité quant à ce nouveau dispositif. Il traduit la volonté du législateur qui reste souverain. Il s’agit effectivement d’une nouvelle mission pour le comptable public, fruit d’un équilibre entre ce qui est acceptable pour la DGFiP et la DGOS (Direction générale de l’offre de soins) !
Solidaires Finances Publiques dénonce la nouvelle tâche dévolue aux comptables hospitaliers qui sont désormais chargés par la loi de contrôler la légalité des modalités de rémunération de l’intérim médical. Ce contrôle, qui ne relève pas des attributions du comptable public mais de l’autorité de tutelle qu’est l’ARS, pose d’abord un problème de moyens. Il doit en effet être réalisé a priori, de manière exhaustive, dans un temps très contraint, 3 ou 4 jours au plus, alors que les trésoreries éprouvent déjà de grandes difficultés à assurer effectivement le contrôle de régularité de la paie.
Par ailleurs, les pièces justificatives fournies, en particulier en ce qui concerne la paie médicale, sont le plus souvent incomplètes. Un des plafonds réglementaires est de 1 170 euros pour 24 heures de vacation. En l’absence de relevé précis des heures effectuées, il est matériellement impossible de procéder au contrôle du plafond !
La mesure repoussée mais appliquée dès que possible.
Mais conjugué à la persistance de la crise sanitaire, un encadrement plus strict de l’intérim médical risquerait d’aggraver encore la dramatique pénurie de professionnels que connaît l’hôpital après des mois de mobilisation pour lutter contre le Covid-19. L’application stricte de la réforme, avec blocage par les comptables publics des rémunérations dépassant le plafond réglementaire, est repoussée « dès que possible en 2022 », dixit le ministre. Le contrôle qui devait entrer en vigueur à compter du 28 octobre 2021 a donc été reporté. Curieuse approche institutionnelle de l’exécutif ! Une annonce ministérielle remet en cause une disposition législative contraignante ! La précision de la communication est également redoutable. Que signifie le "dès que possible" ?
Pour l’heure, l’instruction conjointe DGOS/DGFiP du 4 novembre 2021 qui précise les implications du report invite les différents acteurs à affiner le diagnostic et à identifier les situations qui pourraient poser problème au moment de la mise en œuvre de ce contrôle. Il faut dire qu’instaurer un tel dispositif sans avoir au préalable identifié les situations concernées relève sinon de l’amateurisme, au moins de l’irresponsabilité !
S’agit-il d’un coup de semonce pour ramener certains praticiens à plus de mesure ?
Nous ne pouvons que dénoncer la DGFiP qui a, une fois de plus, laissé prospérer un dispositif mettant en difficulté les personnels des trésoreries hospitalières.
Plutôt que d’instrumentaliser la loi, le Gouvernement serait bien avisé de donner les moyens à l’hôpital public de fonctionner correctement. Il y a toutefois fort à parier qu’une fois la crise sanitaire derrière nous, celui-ci retombe dans l’oubli. La pandémie n’a en effet pas empêché ce gouvernement de continuer à fermer des lits !