Rendre un tel hommage est un moment de grande douleur mais une immense fierté : celle d’avoir connu, côtoyé au plus près, d’être en amitié indéfectible avec cette si belle personne qu’était Chantal Aumeran.
Parce qu’il faut bien le faire je commence par cela, rappeler que Chantal a été secrétaire générale du SNUI de 1994 à 1998 et déléguée fédérale ministérielle au cours des mêmes années. La première femme secrétaire générale de notre syndicat et cela n’a pas toujours été simple dans le monde d’hommes du syndicalisme de l’époque.
Chantal a été l’une des fondatrices, au nom du SNUI, de l’association ATTAC créée en France en 1998 et dont elle a été la première vice-présidente. Elle a aussi profondément engagé l’action du syndicat dans le Groupe des 10, devenu Solidaires, avec son amie et complice de SUD PTT Annick Coupé et, bien entendu, Gérard Gourguechon.
Elle a aussi ancré le syndicat dans la lutte contre les idées d’extrême droite en collaborant à ISA (Informations Syndicales Antifascistes), liée à l’association Ras l’Front qui portait alors, un peu seule il faut bien le dire, ce combat.
Chantal, un souvenir d’abord, pourquoi celui-là me revient-il aussi fort ? Je crois que c’est pour sa grande humanité, mais aussi parce qu’il est une partie de son histoire. Je me souviens de son retour d’une conférence avec Attac en Suisse où Chantal avait rencontré un vieil homme de l’âge de son grand-père qui avait demandé à la voir et l’avait serrée dans les bras. Le respect invite à taire les détails, mais tout aurait dû séparer ces deux noms. Sauf que la terre sur laquelle ils étaient nés tous deux, les réunissait à jamais, par delà les conflits de l’histoire. Sans doute cette sale période actuelle de guerres et de conflits fait elle ressurgir ce souvenir d’une belle leçon d’humanité. Il vient aussi nous rappeler combien les racines de Chantal, posées de chaque côté de cette mer qu’elle aimait tant, étaient l’ancre de sa vie.
Chantal était ce que l’on nomme « un caractère » et quand on entrait dans son bureau et qu’elle n’était pas satisfaite, ses yeux vous transperçaient. Mais c’était l’espace d’une seconde, celle d’après ces mêmes yeux, posés sur son sourire retrouvé, vous enrobaient d’amitié et de charme. Rien n’avait été dit, mais tout était déjà dit. Alors, venait le temps de l’échange et de la pédagogie que Chantal mariaient à une empathie d’autant plus grande que pouvaient l’être les difficultés de celle ou celui avec qui elle parlait.
C’était là un des nombreux signes d’une intelligence hors normes. Et ses contradicteurs, qu’ils soient administratifs, politiques ou syndicaux étaient bien avisés d’arriver face à elle bardés d’une dose d’arguments solides et crédibles. Sinon ils étaient laminés, tout en finesse et en douceur, mais laminés. A ce chapitre un souvenir encore, celui de Jean Marie Cavada qui présentait « La Marche du Siècle », émission phare de la télévision à l’époque, durant laquelle Chantal avait été brillante et radieuse, comme si souvent. A la fin de l’émission le présentateur, saluant le ministre Arthuis avait eu cette phrase : « Monsieur le ministre veuillez m’excuser mais je dois saluer celle qui a illuminé cette émission ». Il parlait de Chantal et Arthuis, penaud et vexé, avait préféré ne pas rester au pot qui suivait l’émission.
Chantal faisait partie de ces personnes qui analysent et répondent à tout avec une vitesse que la majorité d’entre nous n’a même pas imaginée. Mais l’intelligence ne suffit pas sans un travail de tous les instants et Chantal était un monstre de ce point de vue. Surtout, elle savait entraîner celles et ceux qui la côtoyaient vers leur propre excellence, en les entourant d’une grande affection mais, d’une solide exigence. Cela a créé de belles équipes et là encore un souvenir. Celui d’un haut cadre de la DG sur le départ me disant un jour : « vous nous avez vraiment em….. au SNUI. Mais je vous remercie parce que vous nous avez obligés à l’excellence ». C’est sans doute le plus beau compliment qu’une équipe de syndicalistes puisse recevoir !
Et puis on ne peut pas évoquer Chantal et son activité militante sans évoquer « la théorie du Nounours » qui devrait être enseignée obligatoirement à l’Enfip et dans les écoles de journalisme, d’économie et autre droit fiscal. Chantal ou comment rendre évidente en une phrase la différence entre proportionnalité et progressivité lors d’un journal télévisé. C’est un exercice très compliqué parce qu’il faut être clair et précis en quelques secondes, Chantal l’a fait ainsi : « si un couple avec un jeune enfant déménage 900kgs de matériel, proportionnellement le gamin devrait porter 300kgs, ce qui lui est impossible, progressivement il partira avec seulement son nounours dans les bras ». Simple et limpide démonstration de justice fiscale, comme toutes les interventions de Chantal pour défendre notre vision de la fiscalité, pour défendre notre administration et ses personnels.
Mais ce parcours de Chantal a aussi été marqué par le partage de l’amitié, de la fraternité et de la fête. Le panneau qui est au cœur de la grande salle de réunion du siège, rue de Montreuil, nous dit depuis ce temps « Les copains d’abord ». C’était un mantra pour Chantal et je ne le décrirais pas mieux qu’un de mes camarades qui m’a adressé un message ces jours-ci : « … l'ours va rentrer dans sa tanière et pleurer comme il le fait en écrivant ces quelques lignes en se souvenant d'une formidable Secrétaire Générale mais pas que, d'une copine de bringues syndicales comme on savait si bien les faire entre nous parce que le syndicat c'est aussi ça, une vraie amitié au dessus de tout et la façon dont Chantal vous serrait dans ses bras en vous claquant des bises, ça je ne suis pas près de l'oublier... ». Nous non plus.
Enfin, Chantal avait aussi des talents d’artiste et ses photographies subtiles et douces de l’eau du vieux port de Marseille nous ramènent à sa mer Méditerranée. C’est dans ces eaux qui ont alimenté ses racines sur chacune de leurs rives que Chantal voulait flotter et c’est sur le bateau d’un ami et militant historique qu’elle fera ce dernier voyage avec ses proches. Une boucle à l’issue si triste et injuste, mais belle à la fois, sera alors bouclée.
Quant à nous, militantes et militants, camarades et ami-es, nous porterons pour toujours cette peine. Mais nous garderons le souvenir d’une belle et grande dame de notre syndicalisme dont nous devrons savoir porter et transmettre les immenses valeurs.