Le projet de loi de finances est connu. Les mesures qu’il comporte s’inscrivent dans la continuité de la loi de Finances 2018.
Commentaire général
En matière de prélèvements obligatoires, il confirme les orientations du gouvernement. Celui-ci table sur une réduction de 6 milliards d’euros des prélèvements des ménages et de 18,8 milliards d’euros des prélèvements des entreprises.
Au-delà du déséquilibre factuel (le rapport est de 1 à 3,13 entre ménages et entreprises), certaines remarques s’imposent.
- Des mesures étaient annoncées dès 2017 : il en va ainsi de la baisse progressive de l’impôt sur les sociétés et de la taxe d’habitation.
- Le coût des mesures réellement nouvelles est différent de celui annoncé, lequel prend en compte les décisions passées en raison de leur impact budgétaire en 2019. Pour les ménages, la hausse de la fiscalité du tabac et des énergies rapportera 2,3 milliards d‘euros tandis que les allègements nouveaux (heures supplémentaires, baisse de la contribution sociale généralisée pour certains retraités) s’élèvent à 0,9 milliard d’euros.
- Les entreprises sont les gagnantes de cette loi de Finances : la transformation du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) en allègement de cotisations sociales est confirmée à hauteur de 20,4 milliards d’euros.
En matière de dépenses, le projet de loi de Finances prévoit la suppression de 4 164 emplois au sein de la Fonction publique d’État et des opérateurs. Le ministère de l’Action et des Comptes publics subira à lui seul 2 285 suppressions d’emplois et supportera donc à nouveau plus de la moitié des suppressions d’emplois (54,8%). Parmi ces suppressions, la Direction générale des Finances publiques (DGFiP) perdra 2 130 emplois (soit 51,15 % des suppressions d’emplois prévues pour 2019). Et ce, alors que la charge de travail ne cesse de s’accroître. Qui veut la peau de la DGFiP ? La question prend désormais tout son sens.
La persistance gouvernementale dans la rigueur et le déséquilibre fiscal est le principal marqueur de ce projet de loi de Finances. L’affaiblissement de l’action publique (notamment, pour la DGFiP, en matière de réception des usagers, de conseil aux collectivités locales ou encore de lutte contre la fraude fiscale) et la poursuite de l’affaiblissement du consentement à l’impôt dans un système injuste en sont les principaux effets.
Fiscalité du travail VS fiscalité de la pollution : des mots aux maux
Le Premier Ministre a déclaré le 20 septembre dernier que le gouvernement avait fait le choix dans le projet de loi de Finances de baisser l'impôt sur le travail pour augmenter l'impôt sur la pollution, autrement dit sur les carburants. Les hausses prévues dans le projet de loi de Finances s’élèvent à 1,9 milliard d’euros.
Cette approche correspond à l'approche dominante selon laquelle un double dividende serait possible en réduisant le coût du travail, ce qui est censé favoriser la création d'emplois, et en taxant les comportements polluants pour faire baisser la pollution. Elle pose plusieurs questions et appelle plusieurs remarques.
La première porte sur la pérennité des recettes publiques. Si la fiscalité pesant sur la pollution parvient à faire réduire cette dernière, il faut alors s'attendre à une baisse des recettes publiques. La fiscalité dite « sur le travail » est durable, l’assiette de la fiscalité sur la pollution (donc son rendement) est « bio dégradable », du moins si elle est efficace...
La seconde porte sur l'efficacité d'une telle opération. Si d'aventure elle ne s'avérait pas efficace, elle n'aura alors finalement consisté qu'à remplacer certains prélèvements par d'autres. Or leurs structures respectives étant différentes, ces prélèvements ne produisent pas les mêmes effets et modifient la répartition de la charge fiscale. Les prélèvements dits sur la pollution constituent en effet des prélèvements sur la consommation qui ne tiennent aucunement compte de la situation des contribuables consommateurs. Or, ceux-ci les paient avec leur revenu, autrement dit leur revenu du travail ou de remplacement (pensions de retraite)... Comme en matière de TVA, les prélèvements sur la consommation sont dégressifs et injustes et, par conséquent, mal acceptés. Une telle opération reviendra à accroître tout à la fois l'injustice fiscale et le rejet de l'impôt. Un «double dividende » bien malheureux très éloigné de l’objectif recherché...
En troisième lieu, et en parallèle dès le début du quinquennat, le gouvernement a aussi et surtout baissé la fiscalité sur le capital et sur les revenus qu'il procure avec la baisse de l'impôt sur les sociétés, la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune et la mise en œuvre du prélèvement forfaitaire unique. Des mesures qui ne concernent nullement le prétendu soutien aux revenus du travail...
Une continuité mortifère
La stratégie fiscale gouvernementale est claire : sa priorité est et demeure de s'engager pleinement dans la concurrence fiscale et sociale, de réaliser des économies sur la politique sociale et les services publics, d'accroître de facto les moyens financiers des plus aisés et de favoriser « la finance ». Le tout, en faisant le pari dangereux qu'un jour peut-être cela produira des effets en ruisselant ici et là. Mais lesquels ? Certains effets se font déjà sentir, là-aussi très éloignés de ceux officiellement poursuivis : les services publics sont exsangues, les inégalités s'accroissent, la protection sociale est fragilisée, la situation environnementale est alarmante et la crise démocratique ne faiblit pas.