Plusieurs députés ont déposé une proposition de loi le 3 octobre dernier visant à supprimer la séparation « ordonnateur/comptable » dans les collectivités territoriales.

Cette proposition de loi est surprenante et choquante. En premier lieu, on peut s’interroger sur le sens d’une demande « à la carte » ne visant que les collectivités territoriales, ce qui aboutirait, si l’on prend ce texte au pied de la lettre, à une différence de traitement entre les collectivités territoriales et l’État. En réalité il s’agit plus probablement d’une remise en cause globale de la séparation « ordonnateur/comptable » tant au plan local que national.

Il faut donc rappeler ceci : l’ordonnateur et le comptable ont des rôles distincts et complémentaires.
L’ordonnateur est un agent d’autorité qui constate les recettes, en arrête le montant et en ordonne le recouvrement. Il décide de la dépense, la liquide et en ordonne la mise en paiement. Mais il ne manipule jamais l’argent public...
Car ceci est le rôle du comptable public de le faire, à qui il appartient, sur l’ordre de l’ordonnateur, d’encaisser ou de décaisser l’argent public. Le comptable public est ainsi responsable pécuniairement et personnellement (sur ses deniers propres). Il fait d’ailleurs lui-même l’objet de contrôles réguliers des Chambres régionales des comptes et de la Cour des comptes. Et ce, alors que la Cour de discipline budgétaire et financière, qui contrôle les ordonnateurs, n’a pas connu le développement nécessaire au regard des enjeux et de la place prépondérante des ordonnateurs.

Quoiqu’il en soit, et même imparfaite, cette organisation apporte une certaine assurance dans la gestion de l’argent public, elle favorise notamment un meilleur contrôle et permet de garantir une meilleure probité que si cette séparation n’existait pas.

La proposition de loi (très courte pour ne pas dire caricaturale sur un tel sujet) vise donc clairement à laisser les mains libres aux élus locaux dans la gestion de l’argent public local. Ce qui emporte un certain nombre de risques. On déplore en effet déjà certaines affaires de détournements, de mauvaise utilisation de l’argent public, de favoritisme et de corruption. Or, en supprimant la séparation ordonnateur/comptable, et en faisant du comptable un « commissaire aux comptes » au service de l’ordonnateur, le risque évident est d’assister à une multiplication de ce type d’affaires. Et ce, au détriment de l’intérêt général… Avec les conséquences que l’on sait sur la « crise des institutions » qui se nourrit de ces affaires.

Au-delà, il y a véritablement de quoi s’interroger sur cette proposition de loi. Elle tombe en effet opportunément pour le gouvernement. Celui-ci s’apprête en effet à instaurer des agences comptables dans certaines collectivités territoriales ainsi qu’un compte financier unique qui se substituerait aux deux comptes préexistants (le compte de l’ordonnateur et le compte du comptable public). S’agit-il d’un ballon d‘essai préparant le terrain à une décision de grande ampleur ? C’est d’autant plus inquiétant qu’aucune alternative crédible visant à apporter les garanties nécessaires en termes de bonne gestion de l’argent public n’a été présentée à ce jour.