Le 6 mai se tenait un Conseil Commun de la Fonction Publique (CCFP) normalement présidé par la Ministre, Amélie de Montchalin. Ce CCFP avait deux points à l’ordre du jour, l’examen du projet d’ordonnance favorisant l’évolution professionnelle de certains agents publics et le projet de décret relatif à la négociation et aux accords collectifs dans la Fonction publique.
La ministre y a fait une brève apparition en ouverture des travaux, étant retenue par ailleurs par une audience avec le 1er ministre. A cette occasion, elle a tenu à préciser qu’elle voit dans ces deux textes de vraies avancées pour les personnels. S’agissant du texte sur l’évolution professionnelle, elle considère qu’il permet d’apporter des droits supplémentaires à certains publics et rend le droit à l’accès à la formation plus lisible et plus simple. Elle s’est attardée plus longuement sur la question du dialogue social, affirmant que ce sujet est au cœur de la méthode voulue par le gouvernement et que cela incite à plus de responsabilisation de la part des différents acteurs ! Ainsi, la ministre appelle les organisations syndicales à s'inscrire dans une mécanique de négociation débouchant sur des accords notamment autour de deux sujets, le télétravail et la protection sociale complémentaire des agent.es publics.
Avant de s’échapper, Amélie de Montchalin a tenu à faire une incise, sans pour autant prendre le temps d’écouter les réactions des représentants du personnel, sur l’esprit de sa réponse à la demande des organisations syndicales représentatives de la Fonction publique, d’ouvrir une négociation salariale au niveau national. Pour la ministre, l’heure n’est pas à un rendez-vous de portée générale et si elle admet qu’il y a un enjeu salarial, celui-ci doit avant tout s’appuyer sur un diagnostic partagé « de là où nous en sommes en matière salariale ». Au passage, la ministre glisse que les négociations futures, si elles ont réellement lieu, devront s’inscrire dans le cadre de l’enveloppe allouée par le gouvernement. Elle estime, dans ce contexte d’utilisation pragmatique de deniers publics, que les travaux sur la question salariale devront se concentrer autour de quelques priorités, excluant de fait toute mesure de portée générale. Ainsi, une attention particulière pourrait être portée aux bas salaires, au renforcement de l’attractivité de certaines filières notamment en début de carrière, et des territoires mais également à la résorption des inégalités de rémunération entre les femmes et les hommes. L’ensemble de ces sujets pourrait être évoqué lors du rendez-vous salarial thématique qu’elle envisage de tenir début juillet.
Pour Solidaires Finances Publiques, la réponse de la ministre est bien entendu « un peu courte » et démontre une fois encore que le gouvernement voit le contexte social par le petit bout de la lorgnette. Le refus d’une mesure de portée générale et l’éventuel fléchage thématique de l’enveloppe budgétaire confirment que le gouvernement reste sourd aux revendications légitimes des personnels notamment autour du dégel du point d’indice et de sa revalorisation. On notera au passage, qu’au prétexte de renforcer l’attractivité de certaines filières, le gouvernement va probablement allouer quelques subsides à certains publics, comme cela est plus ou moins annoncé pour la haute fonction publique suite à la réforme de l’ENA.
Dans le cadre de la préparation de ce CCFP, Solidaires avait prévu de dénoncer fermement la vision étriquée de la ministre sur la question salariale et son approche réductrice du dialogue social et des politiques sociales. Malgré le départ de la ministre, Solidaires a insisté en propos liminaires sur la nécessité de sortir du carcan de l’austérité budgétaire en matière salariale pour les agents et agentes publics et dénoncé le refus du gouvernement d'ouvrir dès à présent des négociations alors que les textes qu'il met en œuvre en matière de négociation collective devraient l'y contraindre.
Dès lors, nous ne pouvons que nous interroger sur la portée du texte relatif aux négociations, s’il est bafoué dès ses balbutiements. Plus globalement, les non-annonces en matière salariale sont inacceptables car insupportables !
La directrice de la DGAFP qui a succédé à la ministre pour la présidence du CCFP n’a bien entendu sur la question salariale, apporté aucune réponse aux organisations syndicales, s’engageant seulement à rendre compte.
Examen du projet d’ordonnance sur les dispositifs favorisant l’évolution professionnelle de certains agents publics.
Solidaires Finances Publiques a étroitement été associé à la préparation de ce CCFP et nous avons notamment co-rédigé, avec Solidaires Fonction Publique, les amendements portés sur le texte relatif à la formation.
En ouverture des échanges sur ce point, Solidaires a regretté une fois encore la vision gouvernementale qui regarde par le petit bout de la lorgnette les parcours professionnels. Il est clair, que le concept d’ascenseur social est en panne et l’approche de l’administration se résume plus à une logique de passe-plat !
Certes l’attention portée aux publics pré-identifiés est nécessaire et indispensable, mais là encore, elle laisse sur le bord du chemin nombre de personnels qui sont aussi les grands oubliés de l’ascenseur social. C’est pourquoi, l’un de nos amendements visait à ne pas limiter l’accès au dispositif aux seuls agents C ne disposant pas d’un diplôme ou titre professionnel classé au moins au niveau 4, mais à tous les fonctionnaires ne disposant pas pour accéder à un emploi de rang supérieur, du niveau de diplôme requis. Le Gouvernement a rejeté cet amendement expliquant que son intention n’était pas de déboucher sur une mesure de portée plus générale. Il se refuse donc d’ouvrir des droits supplémentaires à tous les personnels au-delà de la catégorie C et qui n’ont pas fait de « grandes études ». La FSU s’est jointe à notre demande qui malheureusement n’a pas été retenue, le collège employeur ayant voté contre. On notera l’abstention des autres OS, excepté la FSU.
Nous avons également défendu un amendement visant à corriger l’approche concernant l’accès au dispositif prévu par l’ordonnance pour les fonctionnaires les plus exposés compte-tenu de leur situation professionnelle individuelle aux risques d’usure professionnelle. Pour nous, si le soutien aux situations individuelles doit être une réalité, la mesure telle qu’elle est prévue conduit à laisser sur le bord du chemin du droit, des fonctionnaires qui n’en formuleraient pas la demande. Or, la question de l’usure professionnelle ne peut être abordée que sous l’angle individuel, certains postes de travail, certaines fonctions, conduisent inévitablement à une usure professionnelle. Il nous semblait donc nécessaire de recenser dans les différents secteurs de la Fonction publique, des fonctions qui, par nature, conduisent à un épuisement professionnel. A titre d’illustration, nous pouvons légitimement penser que des fonctions d’accueil exercées durablement rentrent de fait dans ce schéma de risque structurel. Alors pourquoi ne pas envisager une mesure d’ordre général pour tous les personnels concernés ? Nous pensons, que la souffrance au travail conduit parfois à ne plus être dans son rejet, et une mesure de portée générale nous semblait nécessaire et juste ! Le gouvernement l’a refusée toujours au regard de sa logique étriquée. Certaines organisations syndicales se sont jointes à notre demande (CGT, FSU) estimant que certains postes de travail sont par nature usants !
Nous avions également un amendement visant à préciser que les mesures prévues par l’ordonnance venaient se rajouter aux dispositifs d’accompagnement de carrière pouvant exister dans les différents versants de la Fonction publique. Cet amendement a été retenu par le gouvernement qui y voit une clarification.
Par contre, il a bien vu notre tentative de remettre des droits et garanties dans la gestion des personnels en rajoutant le recours « à la CAP compétente » en cas de désaccord de l’employeur public pour l’accès à un congé de transition professionnelle. Au nom du gouvernement, la directrice de la DGAFP a rejeté notre amendement tout en soulignant au passage que « c’était bien tenté » ! Toutes les autres OS se sont jointes à notre demande, à l'exception de la CFDT Fonction Publique !
Solidaires Fonction Publique s’est abstenu sur ce projet d’ordonnance faute d’une ambition gouvernementale plus large, de moyens budgétaires précis et de droits de recours en cas de refus.
Au-delà de la portée de cette ordonnance qui vise à clarifier les intentions de la loi de 2019 en matière d'évolution professionnelle pour les agents publics, nous ne pouvons que regretter que la Fonction publique ne soit pas un véritable laboratoire social.
Nous avons dès lors demandé à la ministre que de réels moyens, notamment sur le plan financier, soient alloués à la mise en œuvre de cette ordonnance afin de pouvoir atteindre les objectifs affichés. À ce titre, nous attendons que des discussions aient lieu dans le cadre des projets de décrets afin de définir des outils et un cadre de formation et d'accompagnement financier renforcés au service de l'évolution professionnelle des agentes et des agents. Il en est de même sur l’importance de renforcer le réseau des conseillers RH, des conseillers en évolution professionnelle, afin de répondre le plus finement possible aux attentes des personnels concernés.
Pour Solidaires, il faut pousser les feux sur divers aspects connexes :
• Le premier porte sur la cartographie des emplois de catégories C, B et A et équivalents et nous renouvelons notre demande que dans les secteurs où cela se justifie, des négociations s’engagent afin de revoir la cartographie des emplois. Un plan ambitieux en matière de reconnaissance des qualifications des emplois, notamment concernant les filières féminisées, est attendu dans bien des secteurs.
• Le second concerne les approches réductives de certains périmètres d’emplois/fonctions. Cela induit globalement une forme de taylorisme qui produit un système sclérosant et perdant-perdant tant pour les agentes et les agents que pour l’administration.
• Le troisième porte sur l’impérieuse nécessité de renforcer les politiques de formations initiales et en cours de carrière. S’agissant de cette dernière, il est nécessaire que les agentes et agents puissent réaliser leurs aspirations personnelles, notamment en matière d’enrichissement personnel.
Examen du projet de décret relatif à la négociation et aux accords collectifs dans la Fonction publique.
Ce projet de décret vient en déclinaison de l’ordonnance ayant le même objet et qui a été examinée au CCFP de décembre 2020. A l’époque, après consultation des OS membres de Solidaires, nos représentants à la Fonction publique avaient voté contre ce projet de texte.
C’est pourquoi Solidaires s’est à nouveau prononcé globalement contre ce projet de décret, car toute la mécanique mise en œuvre par le gouvernement vise dans une certaine proportion à remettre en cause la démocratie sociale basée sur la représentativité des organisations syndicales, issue des urnes lors des élections professionnelles.
Pour Solidaires, l’inquiétude est grande de voir le gouvernement et les employeurs publics recourir aux négociations collectives pour contourner les instances représentatives et forcer la main du dialogue social par un jeu de compromis et d’accompagnement forcé entre un moins disant et un rien du tout !
Malgré tout, Solidaires et d’autres organisations syndicales partageant la même analyse, ont déposé des amendements à ce projet de décret, afin d’essayer d’en clarifier la portée et aider à une meilleure prise en charge par les militants de cet exercice à la négociation.
On note au passage que le gouvernement s’est opposé à divers amendements visant à supprimer le recours au conditionnel, notamment au regard de certains dispositifs pouvant être favorables aux organisations syndicales (comme l’accès à une formation à la négociation). Pour justifier ce rejet, la DGAFP précise que ce texte étant de portée générale et s’appliquant aux trois versants de la Fonction publique, il n’est pas possible, compte tenu du principe de libre administration des collectivités territoriales, de leur imposer de fait un dispositif contractuel. Pour le gouvernement, comme pour la représentante des employeurs territoriaux, il faut faire confiance aux uns et aux autres pour faire évoluer positivement le dialogue social.
Les échanges ont été nombreux autour de ce projet de décret, compte tenu des amendements déposés. Certains amendements ont été retirés par leurs auteurs, sur la base de l'annonce par le gouvernement d'engagements de méthode plus favorable. D'autres amendements ont fait l'objet de propositions de réécriture par le gouvernement afin de rendre le décret plus acceptable. Cela étant, même si des ajustements et des explications se voulant parfois rassurantes ont été apportés, Solidaires a voté contre ce texte, car c’est toute l’architecture du dialogue social qui est désormais mise à mal et ce dans la continuité de la loi de transformation de la fonction publique de 2019.
À l’issue de ce CCFP, Solidaires Finances Publiques constate avec regret, que le gouvernement avance sur un grand nombre de réformes alors que le pays est sur le flanc pour cause de crise sanitaire. Là où il faudrait donner du sens, remettre du lien, redonner comme après toute période de crise sévère confiance et espoir, le gouvernement régente toujours sur la base du moins disant pour les fonctionnaires. S’attaquer aux acteurs du dialogue social dans la Fonction publique, aux outils du dialogue social, aux droits et garanties des personnels, c’est avant tout s’attaquer au principe même d’une société apaisée et juste ! C’est fragiliser le service public dans son ensemble !