La dernière CAPN de mutation des agents techniques s'est tenue dans une ambiance dominée par les restructurations de services et de suppressions d'emplois.

liminaire

Paris, le 25/04/2019

Monsieur le président,

Les déclarations liminaires, tout comme les réunions paritaires dont elles sont le préambule, ne seront bientôt plus que de lointains souvenirs, les vestiges surannés d’une époque révolue où l’on essayait encore de se parler, voire de se comprendre. Il n’y a plus guère que quelques contestataires, forcément réactionnaires, pour ne pas comprendre la nécessité d’une modernisation. Car s’ils sont en désaccord, c’est forcément qu’ils n’ont pas compris. De toute manière, il n’y a pas de solution alternative, et c’est sans doute le signe qu’il n’y a pas vraiment de problème.

Et puis comment dialoguer avec des gens qui protestent, manifestent, boycottent, bloquent, s’expriment avec véhémence, sous prétexte que l’on change les règles sans concertation, ou que l’on ne tient pas les engagements ? Faut-il qu’ils soient naïfs pour ne pas savoir que les promesses n’engagent que ceux qui les croient. Il est décidément grand temps qu’ils s’adaptent, de gré ou de force, en entérinant poliment les décisions prises par ceux qui savent. Et qu’importe si les principes sont sans cesse remis en cause.

Encore un exercice de rhétorique hors sujet, nous répondrez-vous probablement, et des questions qui ne pourront pas être débattues dans le cadre de cette instance. Nous sommes pourtant au cœur du sujet. La « modernisation », la « réforme », la « simplification », autant de formules confisquées et détournées de leur sens initial, au service d’une idéologie néolibérale triomphante dont elles sont devenues des éléments de langage. La destruction systématique des services publics ne repose absolument pas sur une nécessité économique et sociale absolue, mais sur un choix partisan qui consiste à privilégier des intérêts individuels au détriment de l'intérêt commun. Et la suppression massive des postes de fonctionnaires ne relève pas du domaine de l’idée, mais de celui de l’idéologie.

Un ministre convoque les caméras pour se mettre en scène en train de répondre à un contribuable. La réforme est un succès, elle est bien vécue par les agents, le public est bien renseigné, il n’y avait donc pas besoin d’autant de moyens humains et financiers. Tout va bien, circulez, il n’y a rien d’autre à voir. À ceci près qu’en dehors du champ des caméras, la réalité, têtue, resurgit. La modernisation, la simplification, ce sont des numéros surtaxés qui conduisent les usagers à payer plusieurs fois un même service. Des numéros au demeurant saturés d’appels, sur lesquels se pressent tous ceux dont les codes et autres références de dossiers ne sont pas correctement pris en compte par l’outil informatique, ou ceux encore qui ne maîtrisent tout simplement pas les codes de cet outil.

Ce que n’entend pas le ministre, ce sont tous ceux qui désespèrent d’avoir une réponse, une explication, un contact avec autre chose qu’un répondeur automatique qui tourne en boucle. Ce sont tous ceux qui voudraient rencontrer un interlocuteur et qui constatent qu’il n’y a plus d’accueil. Ou ceux encore qui découvrent qu’ils doivent désormais parcourir des distances considérables, et s’adapter à des horaires d’ouverture de plus en plus restreints, pour espérer accéder à un service public. Autant de situations que les organisations syndicales dénoncent depuis longtemps, en vain. Faudra-t-il attendre que les manifestants soient plus nombreux, plus bruyants, ou plus violents avant que ne soit remis en cause le démantèlement des services de l’État ? Et lorsque les corps intermédiaires auront été totalement écartés, qui sera là pour lancer des alertes et relayer les difficultés du terrain ?

Les agents de la Fonction publique sont souvent en première ligne pour faire face au mécontentement des usagers. Ils ont d’ailleurs toutes les raisons de partager ce mécontentement. Outre la suppression massive de postes, qui dégrade les conditions de travail, ils doivent désormais subir une remise en cause de leur statut, avec pour triste horizon une contractualisation croissante dont le corollaire sera un recrutement et un avancement clientélistes, politiques ou relationnels. La rémunération dite « au mérite » viendra renforcer l’arsenal discriminatoire, de manière d’autant plus forte que le gel du point d’indice a fait de la question des salaires un sujet d’insatisfaction central. La « mobilité », qui est le nouveau mot pour désigner la précarité, sera de mise au niveau de la mission exercée, mais également en termes d’affectation, cette dernière découlant du manuel de géographie simplifiée du professeur Darmanin.

Au sein de notre ministère, les agents ne s’y trompent pas, comme le montrent les résultats de l’enquête réalisée par un observatoire interne entre le 19 octobre et le 23 novembre 2018. 76% d’entre eux estiment que la DGFiP n’évolue pas dans le bon sens, et ils sont le même pourcentage à être pessimistes concernant leur propre avenir dans notre administration. 61% estiment que leur motivation dans le travail diminue. Une forte majorité d’entre eux estiment qu’ils travaillent dans l’urgence, et une majorité déclare être confrontée à des usagers mécontents. À noter cependant une nette différence dans les pourcentages concernant les services centraux, ce qui tendrait étrangement à révéler une certaine déconnexion. De là à en déduire que la représentation syndicale serait plus proche de la réalité du terrain…

Qu’il s’agisse des usagers ou des fonctionnaires en colère, la réponse qui leur est accordée est la même, avec un déni des difficultés d’une part, et d’autre part une tendance accrue à recourir aux tribunaux pour tenter d’intimider tous ceux qui manifestent leur désaccord. Sans le respect des corps intermédiaires, sans capacité d’écoute, sans un débat qui ne serait pas un simulacre, sans remise en cause d’une idéologie libérale aux conséquences dramatiques, sans remettre de l’humain à la place des machines, il sera de plus en plus difficile de faire société.

Alors essayons encore d’échanger, tant que cela est encore possible. Les motifs ne manquent pas en ce qui concerne les agents techniques de notre administration. Et puisque c’est l’une des rares occasions de les aborder, nous évoquerons des problèmes qui, pour ne pas être à l’ordre du jour, attendent cependant depuis longtemps d’être résolus.

Tout d’abord, les inquiétudes : la mise en place de la géographie revisitée, expérimentée dans 7 départements, s’annonce catastrophique. Elle impliquera des restructurations massives et forcées dans des directions normées et formatées, limitées en nombre d’implantations, elles-mêmes limitées en nombre d’agents. L’impact sera lourd sur les TAGERFIP, et quid des agents techniques, déjà variables mathématiques d’ajustement ?

Les nombreuses suppressions d’emplois qui en découleront, et la mobilité forcée imposée par ces restructurations, auront un impact direct sur le nombre d’agents techniques, mais aussi sur une normalisation de leur métier qui est déjà en cours.

La normalisation par la destruction des droits des fonctionnaires, annoncée par le projet de loi Fonction publique, prévoit déjà la possibilité de CAP par catégorie, et non plus par corps. Doit-on y entrevoir le risque d’une fusion des 2 corps que constitue la catégorie C, mettant fin à l’existence de la carrière C technique, qui aura alors vécu une bien courte vie?

Ce ne sont là que quelques-unes de nos interrogations qui, n’en doutons pas, resteront encore sans réponse quelque temps, la période n’étant ni à la transparence, ni au dialogue.

Peut-être attend-t-on la fin du tuilage entre l’actuel Directeur Général et Jérôme Fournel ? Bruno Parent, en lui léguant cet héritage funeste en fait déjà, de fait, le futur mais éphémère DG d’une Direction Générale des Finances Publiques déjà condamnée et à l’agonie. Serait-ce là le début de l’instauration de la contractualisation à très courte durée ? En effet, depuis bien longtemps, le futur jeune retraité mais pas regretté attend de voir s’achever son œuvre qui, s’il en faisait un livre, l'intitulerait sans doute : « De la fusion à la fission, de la cohésion à la destruction, adieu DGFiP, mon amour ! »

L'étude des documents de consultation de cette CAPN de mutation est révélatrice de la période, et ses enseignements sont tout-à-fait en adéquation avec les sujets abordés en amont : sur 83 demandes, 69,9 % sont déclarées satisfaites au total. Cependant, le taux redescend à seulement 37,5 % si l'on exclut les demandes satisfaites du fait des réorganisations, donc 3 fois plus de mobilité forcée qu’en 2018 en proportion des demandes. Subie par les agents techniques, cette mobilité géographique, et/ou fonctionnelle, concerne une fois encore de nombreux postes de gardiens-concierges, mais aussi, et c’est nouveau, des fermetures de centres éditiques. Pour ces derniers, ce n’est qu’un début puisque déjà est annoncée la fin de la déclaration de revenus version papier, et donc la probable fermeture d’un nouveau site d'éditique qui n’aura plus grand-chose à imprimer. Rien que sur Paris, près d’un agent technique sur deux a été victime de la restructuration des services ou d’une suppression d’emploi.

Représentants du personnel élus, nous constatons aujourd’hui ces situations, et nous les dénonçons grâce au fait que nous ayons encore accès aux documents de consultation. Malheureusement, l’an prochain, avec la suppression programmée des CAP de mutations, les organisations syndicales seront privées du droit de contrôle et, par ricochet, les agents de la DGFiP verront s’effondrer leurs moyens de défense individuelle. Cette défense individuelle, elle s’exerce aujourd’hui encore au travers de règles collectives bien établies. Certes des règles, il y en aura encore, mais sans arbitre. De combien de fautes de lignes, de tricheries, d’entorses aux règles les agents seront-ils victimes ?

Nous nous inquiétons d’autant plus que certaines directions violent ces règles au grand jour, sans grande crainte de sanction de votre part, et ce alors que nous sommes encore là pour vous les dénoncer. Combien y aura-t-il, à compter de l’an prochain, de perfides malicieux à la tête de petits empires ? Combien d’entre eux se comporteront-ils en despotes, forçant par exemple les gardiens-concierges à payer les fluides ? À vous entendre, vous avez répété maintes fois que non, que ce n’est pas bien, qu’il ne faut pas, que c’est écrit dans la circulaire sur l’emploi des agents techniques. Dans le cas que nous connaissons, le petit potentat local le sait parfaitement, ayant lui-même collaboré à l’écriture de ces règles ! Mais s’il peut s'assoir dessus de la sorte aujourd’hui, qu’en sera-t-il demain ?

Cet exemple, qui n’est pas de la fiction, comme vous le savez, n’en est qu’un parmi tant d’autres. Et nous n’en voulons pas, nous n’en voulons plus ! C’est pourquoi nous nous battrons, jusqu’au bout, tant que nous existerons et tant que nous serons les représentants élus du personnel. Nous défendrons le droit des agents, leurs missions, l’existence de la DGFiP, et le statut particulier des fonctionnaires, qui est le garant de l’impartialité. Nous ne laisserons pas brader impunément un service public de qualité et de proximité auquel nos concitoyens sont attachés.