Le « monde d’après » que dessine le gouvernement risque de ressembler furieusement au « monde d’avant », accélération libérale en plus… C’est particulièrement vrai s’agissant de l’évolution des services de l’État, pris dans l’étau d’un État réduit en version « plate-forme » qui se met en œuvre dans le cadre d’une « transformation numérique » et d’une évolution faisant de sa présence physique un service « low cost ».
Cette évolution, qui accompagne par ailleurs les politiques de « l’offre », est bâtie autour de deux axes essentiels : la dématérialisation de l’ensemble des démarches administratives à horizon 2022 et l’expérimentation dès 2020 d’une « plate-forme numérique de l’État ». Cette dernière repose sur l’identité numérique unique pour chaque citoyen, un langage commun à toutes les applications et données de l’État, la protection des données personnelles échangées entre administrations.
Cette mutation implique également qu’avec la révolution numérique, les flux d’intelligence et de créativité modifient profondément les organisations du travail. Officiellement, ceci permettrait ainsi tout à la fois de traiter et de valoriser une multitude de données et d’offrir de nouveaux services numériques. C’est du reste le sens des orientations du contrôle fiscal, confirmées dans le contrat passé entre la DGFiP et la Direction du budget.
Un contrôle fiscal « plate-formisé »
Comme l’ensemble des missions de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), le contrôle fiscal est largement concerné par cette évolution, en témoignent l’utilisation des fichiers des écritures comptables (FEC), les échanges dématérialisés, la montée en charge du fameux « data-mining » ou encore la nouvelle procédure d’examen de comptabilité (EC) menée du bureau.
La production du FEC est une réalité pour de nombreux cabinets d'expertise comptable. A l'avenir, l'administration fiscale pourrait s'orienter vers un dépôt systématique de ce fichier. Une telle évolution s’inscrirait dans la suite de l'introduction du Fichier des Écritures Comptables (FEC) en 2014 et de sa remise obligatoire en cas de contrôle fiscal, de l’obligation de disposer d’un logiciel de caisse sécurisé et certifié, de l’évolution des modalités de facturation électronique et de la création de la procédure d’examen de comptabilité en 2016 (qui monte en puissance et constitue le mode de contrôle dit « externe » dans la période). La dernière étape en date de ce processus figure à l’article 153 de la loi de finances pour 2020 qui prévoit la généralisation de la facturation électronique et la transmission des données des factures à l'administration entre 2023 et 2025.
Cette mutation du contrôle fiscal est d’ailleurs promue par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui recommande au niveau européen le dépôt, sur une plate-forme de l'administration, de l'ensemble des éléments de la comptabilité : FEC, factures et données de caisse. Il s’agit là du « tout-en-un » qui s’inscrit dans la logique du « Dites le nous en une fois », censée simplifier les démarches administratives et, s’agissant du contrôle fiscal, favoriser l’accompagnement voire la détection de la fraude fiscale. En réalité, la dématérialisation du contrôle est en marche, le risque étant qu’il devienne virtuel… Ce qu’il faut éviter à tout prix.
Un contrôle fiscal « Essocisé »
Avec le dépôt systématique du fichier, on peut en effet imaginer (traduire : craindre) un contrôle fiscal « plate-forme » effectué principalement, voire uniquement, du bureau. Plus ou moins au fil de l’eau, voire « en temps réel », mais mené dans le cadre d’orientations « Essoc-compatibles » et d’un contexte qui privilégie l’accompagnement et la compétitivité sur tout le reste, il s’apparenterait à ce que nous avons toujours redouté : un audit « light » davantage synonyme de prestation de service que de réel contrôle.
Au-delà de l’outil numérique et des possibilités, réelles ou supposées, qu’il offre, le sens et l’orientation du contrôle fiscal lui-même sont interrogés depuis de nombreuses années. Outre la dimension idéologique incarnée par des mots d’ordre de type « moins d’impôt, moins d’État » ou « laisser faire, laisser passer », la prégnance des concepts de compliance, de «prestation de service » et de sécurité juridique est réelle.
La loi dite « Essoc » et la note du Directeur général sur l’orientation du contrôle fiscal de juillet 2019 constituaient à ce titre une étape, si ce n’est un tournant, dans la remise en question de la place et du rôle du contrôle fiscal. Le contrat DGFiP/Direction du budget marque une nouvelle étape en appuyant notamment sur la « garantie fiscale » et en assumant un contrôle rapide synonyme de repli pour ne pas dire de disparition de la vérification générale sur place.
Un contrôle « idéologisé »
Dans la période, la crise « offre » à ceux qui ont toujours tenté de freiner le contrôle fiscal une « opportunité ». Face aux difficultés économiques, le contrôle devrait ainsi se transformer en accompagnement, voire en soutien, aux entreprises, quitte à être remis en cause... Ce discours très intéressé, que ses tenants ont toujours porté, crise ou non, est prévisible. Or, si le soutien aux entreprises dans la période ne fait pas débat, il ne peut sacrifier pour autant le contrôle fiscal.
Car dans la période, l’accompagnement des entreprises n’est pas un sujet tabou. S’agissant des PME, il devrait aussi concerner les services de gestion, notamment les services des impôts des entreprises. Or, rien n’est prévu dans le contrat... Surtout, de manière générale, il doit se distinguer du contrôle pour éviter aux agents en charge du contrôle d’être tout à la fois des « partenaires » et des « vérificateurs », un mélange des genres dangereux et difficile à porter. Il faut donc donner les moyens à ces services d’assurer un accompagnement réellement efficace afin qu’ils puissent traiter les demandes tout en en assurant la sécurité juridique fiscale à l’État, en évitant de donner un suivi systématiquement favorable trop rapide.
Rien ne serait plus dangereux qu’un contrôle fiscal sacrifié au nom de la relance et de l’accompagnement des entreprises. Car la fraude, elle, ne marque pas de pause. La crise de 2008 a en effet montré que la fraude évolue sans cesse et s’adapte au contexte. La priorité donnée au remboursement rapide des crédits de TVA ou aux crédits d’impôt recherche par exemple attire des fraudeurs qu’il faut repérer le plus en amont possible, c'est à dire avant le remboursement. Au-delà, la concurrence exacerbée et la lenteur des discussions sur la manière de limiter « l’érosion des bases imposables » constituent autant d’éléments qui font peser de graves dangers sur les recettes des États et ce, notamment en raison des risques de fraude, toujours élevés. Ce risque est d’autant plus élevé dans la période : il est en effet avéré que les crises ont tendance à renforcer l’économie souterraine et l’évitement de l’impôt. De quoi justifier pleinement un renforcement des services de contrôle…
Panser le contrôle ou le repenser ?
Pour Solidaires Finances Publiques, le contrôle fiscal « de demain » mérite incontestablement plus et mieux que la « contre-révolution » promise. La montée en puissance de l’outil numérique doit être pensée comme un complément à l’action des services locaux et spécialisés de recherche, de programmation et de contrôle, et non comme un substitut. Il ne s’agit pas de refuser l’outil numérique mais au contraire de l’utiliser efficacement au service de la mission. Ceci suppose que la sécurité, la fiabilité et l’exhaustivité des données soient garanties. Le conseil aux entreprises doit par ailleurs se distinguer du contrôle, celui-ci ne pouvant se résumer au traitement des FEC à distance ni à une intervention limitée et menée rapidement sur place. La coopération entre services, entre administrations et entre États doit être renforcée, de même que les effectifs. La reconnaissance de la mission et de ses personnels doit être une réalité. Le management doit privilégier la mutualisation, le soutien technique et l’efficacité. Tels sont en substance les grands enjeux revendicatifs de la période.
En clair, le contrôle doit être repensé et demeurer la contrepartie du système déclaratif mené au service de l’intérêt général.