Rapport Spécial de la commission des Finances sur l’évasion fiscale
Des recommandations intéressantes et concrètes pour un contrôle fiscal de qualité et une lutte contre la fraude efficace
Auditionné en octobre dernier en amont de la sortie d’un rapport spécial sur l’évasion fiscale annexé au projet de loi de finances 2023 par la commission des Finances de l’Assemblée Nationale, Solidaires Finances Publiques est longuement revenu sur la situation des effectifs à la DGFIP en général et dans la sphère du contrôle fiscal en particulier, sur les conséquences du changement de philosophie du contrôle fiscal et les effets induits de la loi fraude et de la loi ESSOC sur les missions de contrôle et de lutte contre toutes les fraudes, sans oublier les impacts sur les agents notamment en termes de risques psycho-sociaux et en termes de reconnaissance des personnels.
Avant de formuler ses principales observations et constats, la rapporteure spéciale rappelle que « L’évasion fiscale affaiblit l’État et les services publics, pousse la Nation à l’endettement et réduit les ressources disponibles pour lutter contre la pauvreté, les inégalités et engager sérieusement la bifurcation écologique dont l’humanité a besoin ».
Revenant avec précision sur différents thèmes et dispositifs mis en place en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, notamment la loi fraude et la loi ESSOC de 2018, la rapporteure spéciale effectue un ensemble de recommandations.
Si Solidaires Finances Publiques souscrit à un grand nombre de ces recommandations, notre syndicat joue la carte de ses expériences passées pour faire preuve de prudence sur la mise en place des recommandations effectuées et aurait souhaité ici ou là aller plus loin.
Solidaires finances Publiques salue un effort de précisions dans la description des services en charge de la lutte contre la fraude et apprécie de voir que les agents en charge de cette délicate mission n’ont pas été oubliés.
1/ Une terminologie précise à mettre en place
Le rapport se livre à un exercice de sémantique et revient sur les différents termes utilisés pour qualifier la manœuvre par laquelle une personne physique ou morale ne paye pas le montant d’impôt qui lui incombe au regard d’une législation fiscale applicable : fraude, évasion, optimisation, évitement...Si les termes de fraude et d’optimisation fiscales renvoient à des situations clairement définies, il n’en va pas de même des termes d’optimisation fiscale « agressive » et d’évasion fiscale. C’est pourquoi le rapport préconise l’établissement d’un lexique harmonisé et propose l’adoption d’une définition large de l’évasion fiscale comme « tout comportement d’une personne physique ou morale dont l’objectif est d’échapper à l’impôt ».
Pour éviter toute digression lexicale tendant à minimiser la réalité d’une fraude fiscale, Solidaires Finances Publiques souscrit à cette proposition qui présente l’avantage de couvrir à la fois les situations de fraude fiscale et d’optimisation fiscale agressive.
2/ La nécessité de chiffrer la fraude et l’évasion fiscales
Si le rapport met en avant les difficultés pour établir une estimation chiffrée de la fraude, il s’attache à présenter les méthodes dites « indirectes ou macroéconomiques » qui passent par l’adoption de certaines hypothèses concernant le fonctionnement de l’économie et les méthodes dites « directes ou microéconomiques » qui cherchent à quantifier le phénomène à partir d’éléments disponibles (chiffres DGFiP, enquêtes…). Ces dernières méthodes sont néanmoins sujettes à l’existence de biais. Ainsi en est-il du biais sélectif et de l’absence de contrôles menés de manière aléatoire. Dans son rapport de 2019, la Cour des Comptes avait préconisé que des contrôles fiscaux soient réalisés de manière aléatoire.
Le rapport préconise la mise en place de contrôles fiscaux aléatoires afin de permettre un chiffrage plus fiable du montant de l’évasion fiscale.
Pour Solidaires Finances Publiques, auteur d’une évaluation reconnue de la fraude fiscale, toute disposition visant à mesurer l’impact économique et social de la fraude ou de l’évasion fiscales est nécessaire et permet d’adapter les moyens aux enjeux. Solidaires Finances Publiques avait par ailleurs fortement insisté lors de son audition sur le manque de données transmises, notamment par la DGFiP , pour réaliser une analyse fine de l’évolution de la fraude fiscale. A ce jour, et sauf erreur de notre part, la DGFiP n’a pas fourni les résultats des contrôles aléatoires lancés fin 2021 en réponse à la commande de la Cour des Comptes.
3/ La lutte contre l’évasion fiscale, une véritable logique interministérielle
Le rapport s’attache à décrire le rôle et les services de chacune des administrations concernées et rappelle que la DGFiP demeure l’acteur principal de la lutte contre l’évasion fiscale.
Au sein de la DGFIP, les services opérationnels de la lutte contre la fraude sont organisés par niveau géographique (national, interrégional et départemental) et selon l’importance économique de la personne physique ou morale vérifiée. Revenant sur le récent transfert des compétences de la DGDDI à la DGFiP, la rapporteure spéciale a entendu notre argumentaire et recommande de revenir sur ces transferts soulignant l’expertise et la connaissance du terrain des agents de la DGDDI et l’insuffisance des moyens alloués à la DGFiP pour assumer cette charge de travail supplémentaire.
Le rapport s’attarde également sur les services spécialisés dotés de pouvoirs de police judiciaire (SEJF et BNRDF) et TRACFIN particulièrement compétents en matière de lutte contre le blanchiment. Chiffres à l’appui, le rapport met en avant une activité croissante voire exponentielle de ces services.
Enfin, rappelant la création en 2020 de la Mission interministérielle de coordination anti-fraude (MICAF), la rapporteure préconise d’aller plus loin en mettant en place une direction interministérielle de lutte contre l’évasion fiscale.
Si toute initiative en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est à saluer, Solidaires Finances Publiques alerte sur les conditions de mise en place d’une telle direction et les tentations d’une mise en place selon le principe des vases communicants.
4/ Une présentation incomplète et un niveau insuffisant des moyens alloués à la lutte contre l’évasion fiscale
En préambule, la rapporteure pointe l’absence de document budgétaire permettant aux parlementaires de disposer d’une vision claire et consolidée de l’ensemble des crédits alloués à la lutte contre l’évasion fiscale, soulignant l’insuffisance et le manque de précision du document de politique transversale annexé chaque année au projet de loi de finances.
Si Solidaires Finances Publiques partage l’idée d’une présentation claire du budget et des moyens alloués à la lutte contre l’évasion fiscale, notre syndicat s’interroge sur l’efficacité du seul enrichissement du document de politique transversale.
Sur les effectifs dédiés à la mission contrôle fiscal
Le rapport pointe l’insuffisance des moyens humains alloués à la lutte contre l’évasion fiscale et la mise en place mal avisée de nouvelles technologies.
Sans surprise, il est rappelé que la DGFiP est l’administration qui connaît les plus importantes baisses d’effectifs depuis 1999. Loin d’une sanctuarisation affichée, le décompte opéré par la DGFiP permet de constater une très forte baisse des effectifs consacrés au contrôle fiscal ces dernières années. Relayant nos propos, la rapporteure effectue le lien entre « la diminution des forces vives luttant contre la fraude » et l’augmentation de tâches chronophages à effectuer par les agents de terrain au détriment de la mission de contrôle. La rapporteure spéciale souligne également que les services de la DGFiP recourent de manière accrue aux contractuels pour pallier la baisse des effectifs, et soulève ainsi le problème déontologique d’avoir des agents non sujets au statut et qui ont accès à des informations sensibles.
Quant aux explications fournies par la DGFiP tendant à justifier la baisse des effectifs par les évolutions législatives et le recours croissant à l’intelligence artificielle, la rapporteure spéciale se déclare non convaincue.
Elle invite fortement le Gouvernement à cesser ces suppressions d’emplois et à doter la DGFiP des effectifs dont elle a besoin pour mener une réelle politique de lutte contre l’évasion fiscale et préconise l’embauche de 3 900 agents d’ici à 2027.
Solidaires Finances Publiques souscrit pleinement à ces recommandations mais échaudé par les pratiques habituelles en matière d’emplois, notamment par la pratique des transferts d’emplois, insiste sur la nécessité de créer des emplois supplémentaires et de privilégier le recrutement par concours.
S’agissant des services spécialisés qui jouent un rôle crucial dans la lutte contre l’évasion fiscale, le rapport recommande de conduire une évaluation quantitative et qualitative des besoins humains de la BNRDF, du SEJF, de TRACFIN et du PNF.
Pour Solidaires finances Publiques, cette évaluation des besoins doit être rapidement mise en place et suivi d’un effet tout aussi immédiat. La fraude n’attend pas et le retard accumulé est nécessairement source de difficultés et de démotivation pour les agents. Les ambitions affichées de la loi fraude doivent s’accompagner de moyens humains suffisants.
Sur le recours à l’intelligence artificielle
Si l’utilisation des nouvelles technologies au service de la lutte contre la fraude est dans l’absolu une bonne chose, elle ne peut constituer une fin en soi. Aussi la rapporteure spéciale recommande de poursuivre les investissements en matière d’IA mais souligne néanmoins que cette technologie ne remplacera ni un cerveau humain ni la nécessaire confrontation de déclarations spontanées d’une entreprise avec la réalité du terrain. Elle poursuit en indiquant qu’anticiper des suppressions d’emplois du fait de cet outil apparaît risqué.
Solidaires Finances Publiques salue la justesse du propos et réaffirme qu’aucun outil ne saurait remplacer la technicité des agents de la DGFIP. De plus, l’utilisation du numérique ou de l’intelligence artificielle, nécessite un prérequis celui de la fiabilisation des données à exploiter. Or, ce sujet demande des moyens humains techniciens suffisants dans les services gestionnaires (services des impôts des entreprises et des particuliers), des services de programmation (pôle contrôle d’expertise, Brigade d’études et de programmations...)
Sur les évolutions législatives récentes (loi ESSOC et loi fraude de 2018)
Revenant sur l’ensemble des dispositifs d’accompagnement notamment mis en place par la loi ESSOC (droit à l’erreur, rescrit fiscal, partenariat…), le rapport pointe à juste titre le développement d’une logique d’accompagnement des entreprises mais rappelle que cette dernière ne peut se faire au détriment de la logique répressive du contrôle fiscal.
Selon la rapporteure spéciale, la loi ESSOC a entériné un glissement de la notion de contrôle à une forme de compliance à la française, où l’administration accompagnerait les entreprises dans l’accomplissement de leurs obligations. La logique n’est plus « d’aller chercher la fraude avec les dents » et les garanties offertes aux contribuables sont parfois excessives (garantie fiscale, limitation de la durée des contrôles….).
Reprenant les propos tenus par Solidaires Finances Publiques lors de l’audience, ces évolutions législatives ont provoqué une perte de sens et de repère dans le travail des agents qui décrivent un sentiment de « schizophrénie » dans le fait de vouloir accompagner les contribuables et de mener dans le même des opérations de contrôle. Les agents vivent ces évolutions comme un signe de défiance à leur égard, en contrepoint d’une confiance accrue accordée aux entreprises.
Si la rapporteure spéciale propose que soit conduite une évaluation de la loi ESSOC, Solidaires Finances Publiques ne cesse de l’exiger !
Sur le développement des modes alternatifs de règlements des conflits
Si le rapport met en avant une pénalisation accrue de la fraude fiscale (extension du champ de compétences de la BNRDF au blanchiment de fraude fiscale, suppression du verrou de Bercy et mécanisme de dénonciation obligatoire…), il relève également la mise en place de dispositifs qui renforcent une logique transactionnelle (CRPC, CJIP), permettant à une entreprise de voir sa réputation entachée. À bon escient, le rapport note que ces modes alternatifs mis en place dans une logique de recouvrement rapide et facile risquent de faire perdre à la procédure de contrôle fiscal, et à la procédure pénale qui peut en résulter leur caractère dissuasif.
Et si le consentement à l’impôt s’en trouve érodé, Solidaires Finances Publiques insiste également sur la nécessaire équité et justice fiscale.
Solidaires Finances Publiques souscrit à la demande d’une évaluation sur les effets des CJIP et souhaite également voir la DGFiP s’expliquer sur la hausse substantielle des transactions avant mise en recouvrement et des situations de règlements d’ensemble en nette augmentation.
Le rapport se termine par des recommandations liées à l’harmonisation des règles de taxation entre pays et la limitation des opportunités d’évasion fiscale internationale, à la proposition de critères de définition pertinents des paradis fiscaux, à la création d’un cadastre financier, au durcissement des règles applicables aux intermédiaires et à la création d’un véritable statut des lanceurs d’alerte et des aviseurs.
Membre fondateur de la Maison des lanceurs d’alerte, partenaire de la Plateforme Juridique des Paradis Fiscaux, Solidaires Finances Publiques ne cesse de porter un revendicatif fort sur l’ensemble de ces sujets.
En guise de conclusion, ce rapport de la commission des Finances en appelle à un nécessaire sursaut de VOLONTÉ POLITIQUE.
- Engager une véritable politique de lutte contre la fraude fiscale en donnant les moyens humains, matériels, technologiques et législatifs à l’ensemble des services en charge de cette mission
- Mettre en place l’équité et la justice fiscales
- Redonner du sens à la mission de contrôle fiscal
- Reconnaître la technicité des personnels de la DGFiP
- Défendre les missions, les structures et les emplois