Un Groupe de Travail, portant entre autre sur la mise en oeuvre d'une expérimentation d'agences comptables, s'est tenu le 17 septembre 2018.
Si on considère le flou contenu dans les fiches de travail et l'imprécision des réponses apportées par l'Administration à nos interrogations, on peut se demander si la DGFIP ne joue pas au savant fou, au détriment de la protection des droits des agents concernés.
liminaire
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Vous nous conviez à un groupe de travail que vous avez qualifié d'informatif sur l'évolution des relations avec les collectivités territoriales. L'ampleur des menaces qui figurent dans les documents joints à ce GT nous laisse penser que vous n'entendez pas vraiment ouvrir de cycle de discussion autour de tous ces sujets. Dès lors, ne sommes-nous pas plus en présence d'un avis de décès, nous annonçant tout simplement l'extinction du principe de la séparation ordonnateur/comptable, pire ne sonnez-vous pas le glas de la fin de la Comptabilité Publique ? Au-delà des chantiers ouverts en interne à la DGFiP, nous y voyons aussi un lien avec le rouleau compresseur anti Fonction publique de CAP 22 !
A la lecture des fiches et plus particulièrement la fiche 4, force est de constater que la Direction Générale poursuit le chantier de démolition voulu par le gouvernement et la haute technocratie, sans jamais vouloir ouvrir un débat d'ensemble sur les missions de l'ex Comptabilité Publique et plus particulièrement le rôle du comptable public auprès des collectivités territoriales et de leurs administré-e-s.
Ce groupe de travail entend balayer des points essentiels des missions de la GP, et ce en une petite demi-journée. Pour Solidaires Finances Publiques, cela relève d'une forme de mépris vis-à-vis des agents et de la mission. Nous ne pourrons pas, c'est une évidence, poser, lister, cerner tous les sujets, les questions qui nous semblent pourtant indispensables à soulever. Au cours de ce GT, nous reviendrons sur de nombreux aspects, mais dès à présent, en ces propos liminaires, nous tenons à préciser certaines de nos préoccupations et inquiétudes :
Tout d'abord, Solidaires Finances Publiques dénonce le pacte financier décrit dans la fiche 1.
Il met à mal l'égalité inscrite dans notre devise nationale en instaurant des différences entre les grandes et les petites collectivités .
A marche forcée pour une grande part des collectivités entrant dans le champ du pacte financier, les régions et les départements étaient pour la plupart opposés au dispositif et beaucoup de collectivités n'ont pas contractualisé de gaieté de coeur. Les préfets leur ont envoyé avant la date limite de signature un courrier pour les informer des sanctions financières qu'elles et ils auraient à subir en cas de non signature.
Comment peut-on appeler une collectivité à participer au redressement de la nation alors qu'on lui a enlevé ses principaux financements ?
Pour les petites collectivités, ayant de fait un petit budget, la « dangerosité » est inévitable. Ne pas adhérer entraîne de lourdes sanctions et adhérer au pacte sans atteindre les objectifs entraîne également de lourdes conséquences financières. Cela revient à choisir entre la peste et le choléra ! Lequel sera le moins difficile à subir ou lequel sera le plus rapide ? Le réveil risque d'être brutal, voire dangereux, pour certaines collectivités dont la fiscalité locale est la seule source de revenus… et de subsistance !
Concernant la fiche 2, Solidaires Finances Publiques réaffirme que la collaboration et la confiance entre ordonnateur et comptable ont toujours existé et ce avant la mise en place du CAP (Contrôle Allégé en Partenariat). Cependant la mutualisation des méthodes de travail, si elle est bénéfique pour les 2 parties, ne doit pas revenir à ne faire plus qu'un service sans respect de la séparation ordonnateur/comptable.
Par ailleurs, cette fiche précise que le CAP va au-delà du CHD (Contrôle Hiérarchisé de la Dépense). La mise en place du CHD pose déjà de nombreux problèmes (paramétrage difficile, flux ne passant pas…), alors qu'il a été généralisé en 2010. Les diverses améliorations proposées n'ayant pas aidé, comme la prise en charge directe qui permet normalement de payer les mandats sélectionnés par le CHD sur l'ensemble des collectivités d'un poste comptable mais qui en fait englobe aussi des payes et des marchés hors CHD, il paraît peu probable que le CAP améliore ces dysfonctionnements !
Le CAP, au-delà du CHD, fait un pas de plus vers la remise en cause de la séparation ordonnateur/comptable. Les orientations du projet CAP 22 qui ne tardent pas à commencer à s'appliquer, d'ailleurs, puisque les fiches vont dans ce sens, vont encore accélérer le processus.
Vous parlez d'une logique gagnant-gagnant ! Mais pour qui ? Sûrement pas pour le contrôle de l'utilisation de l'argent public et donc pas pour le citoyen. La planche de salut du citoyen demain passera-t-elle par un développement considérable des lanceurs d'alerte ? Si tel est le cas, nous n'hésiterons pas à appeler citoyens et acteurs publics citoyens à agir !
Parlons maintenant de la fiche 3 et du déploiement des services facturiers (SFACTs). Ils ne dérogent pas à la règle du « tout positif » et d'une autosatisfaction non dissimulée venant de la Direction Générale en occultant volontairement l'aspect humain. Le ressenti des agents travaillant dans ces services n'est pourtant pas toujours positif, contrairement à ce que vous indiquez : travail de masse, répétitif jusqu'à en devenir fastidieux avec parfois une grande parcellisation des tâches, pression sur les délais, surtout à la clôture des comptes, et cette liste n'est pas exhaustive !
Soulignons ici que nos inquiétudes étaient fondées en ce qui concerne le développement des SFACTs. La DG assurait au cours d'un précèdent GT que le SFACT SPL en expérimentation n'avait pas vocation à se développer de manière très large. Or, la fiche 3 parle bien d'encourager leur déploiement dans les années qui viennent !
En matière de transparence, nous avons connu mieux !
Nos inquiétudes concernant la dimension des SFACTs, que nous souhaitions demeurer à taille humaine (et où, là-aussi, l'administration nous affirmait vouloir le respecter aussi), sont justifiées également : celui de la ville de Paris est manifestement très gros et appelé encore à se développer avec un volet « recettes ». Les autres, en milieu rural ou non, plus petits, ne le resteront pas forcément puisqu'ils ouvrent la voie à une gestion multi-collectivités...
Quand on sait que côté dépenses-Etat, ces services, à leur création, étaient présentés par l'administration comme des « services d'avenir » alors qu'ils ont ensuite été plutôt malmenés dans certaines directions lors de la création des grandes régions, comme par exemple celui de Metz, qui a depuis été fermé... Devons-nous vous rappeler que les agents ont tous dû demander une mutation pour se recaser, tous étant pourtant venus, au début de l'expérimentation par choix (et même recrutés de manière profilée) et certains en plus par détachement d'une autre administration ?
Maintenant abordons le sujet de l'agence comptable qui est en effet l'étape supérieure dans le processus et la logique CAP 22 et, contrairement à ce qu'affirme l'administration, dans la remise en cause de la séparation ordonnateur/comptable, tout se tient : CHD/CAP/SFACTS SPL/Contractualisation ou Agence Comptable, puis introduction du Compte Financier Unique…
Toutes ces évolutions vont vers ce que Solidaires Finances Publiques dénonce depuis quelques années déjà au fil des réformes et restructurations : « tout est fait pour que les communes ou collectivités puissent se passer des trésoreries ».
Voici donc l'avis de décès des trésoreries avec la mort de la séparation de l'ordonnateur et du comptable car, dès lors que l'ordonnateur a autorité hiérarchique sur le comptable, qu'il le nomme et qu'il peut mettre fin à ses fonctions quand bon lui semble, comment la neutralité de gestion peut-elle exister ?
Il suffit de connaître le fonctionnement dans un EPN (Etablissement Public National) pour dénoncer ce dispositif !
Grand principe du droit de la Comptabilité Publique, la séparation des ordonnateurs et des comptables remonte, comme les principes de droit budgétaire, à la Restauration. Le décret du 29 décembre 1962 le réaffirme dans son article 20.
Les législateurs des années 60 étaient-ils moins éclairés que ceux d'aujourd'hui ? Nous ne trancherons pas ici ce débat, mais force est de penser qu'ils avaient une toute autre philosophie de ce que devait être la mission de service public, le vivre ensemble !
Pour notre part, nous sommes attachés à certains repères, comme celui qui réaffirme que l’ordonnateur est un agent d’autorité qui constate les recettes, en arrête le montant et en ordonne le recouvrement. Il décide en outre de la dépense, la liquide et en ordonne la mise en paiement. Mais l’ordonnateur n’a pas le droit de manipuler l’argent public, car celui-ci, dit-on souvent à raison, « brûle les doigts ».
Seul le comptable public peut le faire : il lui appartient, sur l’ordre de l’ordonnateur, d’encaisser ou de décaisser l’argent public. Selon l’article 60 de la loi du 23 février 1963, il devient responsable personnellement et pécuniairement des sommes qu'il manipule. Ce principe fait du comptable public le seul fonctionnaire responsable sur ses propres deniers des erreurs commises dans l’exercice de sa mission, par lui-même ou l’équipe qui lui est confiée : déficit de caisse, non recouvrement de recettes, paiement non libératoire de dépenses notamment.
Cette responsabilité engage son patrimoine sans aucune limite. Son employeur (l’État) ne la couvre en aucune manière, y compris lorsque la responsabilité est engagée du fait de l’insuffisance des moyens mis à la disposition du comptable. Cette responsabilité est donc tout-à-fait exorbitante du droit commun.
Pour justifier le principe de la séparation ordonnateurs/comptables, trois raisons peuvent être avancées : le contrôle mutuel, la division du travail et l’unité d’action financière.
S’agissant de la gestion des deniers publics, la séparation des fonctions entre ordonnateur et comptable a été le résultat de la méfiance du pouvoir législatif à l’égard de tous ceux qui étaient appelés à gérer ces fonds.
Dans la mesure où cette gestion est confiée à deux catégories distinctes de fonctionnaires ou même d’élus locaux, soumis à des hiérarchies distinctes, un contrôle mutuel est institué : les ordonnateurs ordonnancent les recettes et les dépenses ; les comptables exécutent ces ordres tout en contrôlant leur régularité extrinsèque dans le cadre du contrôle de légalité externe.
Par ailleurs, la séparation des ordonnateurs et des comptables est le seul grand principe financier public spécifiquement comptable (les autres prennent leur source dans le droit budgétaire). Elle poursuit une double finalité :
- de contrôle, en permettant de repérer les erreurs et irrégularités en amont, avant que l’argent n’ait quitté la caisse publique ;
- de probité, car deux agents sont moins tentés – et moins faciles à convaincre – de s’écarter des règles qu’un seul.
Elle est donc un des aspects de la qualité de la Gestion Publique.
Inutile de rappeller que la séparation ordonnateur/comptable a un rôle important dans la neutralité de gestion.
Dans le cas de l'agence comptable, qui contrôlera la bonne imputation budgétaire et surtout la régularité des opérations comptables passées (exemple de la provision dès lors que l'agent comptable sera aussi directeur financier) ? Cette schizophrénie est préjudiciable à l'effectivité des contrôles réglementaires que le comptable doit en principe exercer, à la bonne utilisation des deniers publics, puisque de fait l'ordonnateur aura la possibilité d'imposer des dépenses à l'agent comptable en l'absence des pièces justificatives requises ou avec des pièces irrégulières.
Pour Solidaires Finances Publiques, il est désormais établi que la doctrine de la DGFiP est donc : « toujours moins de contrôles ! » et la sphère de la dépense publique n'est pas épargnée. D'un côté une explosion de la fraude fiscale qui avoisine désormais entre 80 et 100 milliards et de l'autre une explosion certaine des dépenses infondées ou jamais vraiment certifiées, contrôlées,… car, ne soyons pas dupes, les chambres régionales des comptes n'auront jamais les moyens d'être les gendarmes de la dépense publique.
On supprime ainsi l'étanchéité de 2 administrations (territorriale et DGFiP) et on crée un lien de subordination. N'osez pas nous dire que ce n'est pas dangereux !
Oserons-nous faire un parallèle avec un drame sanitaire et vous rappeler quelles ont été les réelles raisons de l'affaire Lactalis ?
Un article dans l'UFC Que Choisir début 2018 a bien souligné que c'est grâce aux allègements de contrôle que ce drame sanitaire a pris naissance. Et cette affaire n'est malheureusement qu'un exemple… L’UFC-Que Choisir insiste sur la nécessité de redonner de vrais moyens d’action à la DGCCRF, service de l’État en charge de chapeauter ces différentes missions et qui a vu ses effectifs baisser de 1 000 agents entre 2007 et 2012.
Le risque zéro n'existe pas, certes, mais c'est bien jouer avec le feu qui entraîne des brûlures !
Même si, de fait, les réformes contemporaines cherchent à réduire la part du formalisme juridique, il reste que la séparation ordonnateurs/comptables apporte des garanties de rigueur et de probité qui ont été jugées suffisamment essentielles pour que l’article 9 du décret GBCP (Gestion Budgétaire et Comptable Publique) dispose que « les fonctions d’ordonnateur et de comptable public sont incompatibles. »
Mais dans le processus de déréglementation actuelle, tout est donc possible !
Cependant, nous vous rappelons que les dispositions nouvelles du décret GBCP n’ayant pas modifié la nature des contrôles opérés par le comptable en matière de dépense et de recette, le juge des comptes continuera son office dans les mêmes conditions qu’actuellement. Ainsi la mise en place des services facturiers et du contrôle partenarial n’ont pas d’impact, pour le moment, en termes de mise en jeu de la responsabilité du comptable par le juge des comptes.
Mais au-delà de tous les aspects Missions, il y a aussi les aspects humains et RH et la lecture de la fiche 4 nous inquiète au plus haut point, surtout par les trous informatifs qu'elle comporte. Ainsi, Solidaires Finances Publiques dénonce le manque de clarté et de précisions sur le volet RH qui ne manquera pas d'avoir des conséquences graves et inquiétantes pour les agent-e-s des postes comptables concernés : il semble que toutes et tous pourraient être en situation de mobilité forcée et ainsi se retrouver en position de détachement sans l'avoir sollicité, avec toutes les conséquences que cela amènerait.
On le voit, il existe beaucoup d'interrogations et un besoin de clarification indispensable sur les règles de gestion. Mais nous allons y revenir au cours de ce GT afin d'obtenir toutes les réponses utiles et nécessaires aux questions que se posent les agent-e-s.
En poursuivant la lecture de la fiche, notamment avec l'avancement des travaux normatifs, on ne peut que constater que le projet est bien avancé et prioritaire.
La montée en puissance du discours managérial – qui promeut une meilleure autonomie des managers, c’est-à-dire un allègement de la contrainte juridique pesant sur leurs actions – a nourri de nombreuses critiques contre le principe de séparation des ordonnateurs et des comptables. Or, quelles que soient ses modalités organisationnelles et procédurales, la séparation est une contrainte juridique mise en place pour permettre, en particulier, de créer les conditions du contrôle.
Quant à la fiche 5, concernant le compte financier unique, Solidaires Finances Publiques affirme que c'est un facilitateur pour la mise en place de l'Agence Comptable. Si le compte de gestion du comptable et le compte administratif de l'ordonnateur étaient identiques au cours de l'exercice, cela serait de notoriété publique ! En effet, il ne faut jamais avoir travaillé en trésorerie pour croire que les rectificatifs d'écritures sont à la marge. Le compte administratif et le compte de gestion doivent, en fin d'année, au moment de leur clôture être strictement identiques mais les ajustements nécessaires pour que ce soit le cas prouvent bien l'utilité de ces deux états administratifs !...
Cette fiche affirme également que le compte administratif de la collectivité et le compte de gestion du comptable sont indigestes et « ne favorisent guère l'intérêt des assemblées délibérantes (et des citoyens) pour les questions budgétaires, comptables et financières de la collectivité locale ». Ce serait dû au fait qu'aucun des deux « ne contient l'ensemble des informations permettant d'apprécier la sincérité des comptes d'une collectivité, ainsi que l'image fidèle, donnée par ces comptes, du patrimoine et des résultats de la gestion de cette dernière »... Mais alors, quel était le rôle du comptable public depuis la Restauration, jusqu'à maintenant ?
Aller vers le compte financier unique n'a de justification que la création des agences comptables sous l'égide de la collectivité ! Dans le cadre de la séparation ordonnateur/comptable, de deux administrations distinctes sans lien de subordination, la nécessité de ces deux comptes prend tout son sens.
Par ailleurs, il est actuellement de la prérogative du comptable public de présenter l'aspect patrimonial de la collectivité aux assemblées délibérantes et aux citoyens et il a toute latitude de le rendre digeste voire même « sexy » en faisant preuve de pédagogie !
En conclusion de ces propos liminaires, Solidaires Finances Publiques trouve affligeant de voir que la Direction Générale ne considère pas les travaux rendus par ses services, et par conséquent ses agents, sur les obligations qu'elle impose en matière de contrôle comme étant « fidèles » et « sincères ». La philosophie même de vos projets laisse transpirer que vous avez une bien piètre opinion du travail rendu par les agents dans les trésoreries des collectivités, et nous sommes décontenancés en voyant comment vous pouvez minimiser leur professionalisme et leur investissement et sous-estimer leur désarroi vis-à-vis de cette casse annoncée de leur mission. Le mépris est encore au rendez-vous.
Pour Solidaires Finances Publiques, toutes ces expérimentations ou modifications vont dans le même sens, celui de l'optimisation des dépenses en considérant les ressources humaines comme la variable d'ajustement. Il faut trouver comment vider des « sacs d'agents » un peu partout pour arriver aux suppressions de fonctionnaires voulues par le gouvernement et favorisées par les mesures de CAP22. Tous ces chantiers touchent un domaine plus large « Fonction publique » et remettent en cause, au fil des annonces et décisions, les conditions de travail, pire les conditions d'emploi des agent-e-s quand ce ne sera pas leur statut.
Grâce aux allègements de contrôle, à l'instar de drames sanitaires dans certains secteurs, la DGFiP est au bord d'un risque industriel sans commune mesure.
Mais soyons rassurés, avec ces fiches, le train vers CAP 22 est « en marche »!